La viticulture en Champagne, le triomphe des vins effervescents.

 

 


A partir du XIXe siècle le vin tranquille commence à être supplanté par le vin effervescent et,  progressivement,  le terme champagne ne désigne plus que ce dernier. Les maisons de commerce nées au XVIIIe siècle renforcent leur position, notamment Moët, Clicquot devenue Veuve Clicquot-Ponsardin, Ruinart et Jacquesson. Mais de nouvelles maisons se créent aussi dont certaines atteignent une grande notoriété comme Mumm, Pommery à Reims ou Mercier à Épernay. 


En 1871, Eugène Mercier décide de faire construire un foudre aux dimensions hors du commun. En 1885, après 14 ans de travaux, le foudre est achevé. Il pèse 20 tonnes, mesure 5.50 mètres de haut, 6.50 mètres de long et a une contenance de 160 000 litres, soit l’équivalent de 200 000 bouteilles. Eugène Mercier présente son foudre au monde entier lors de l’Exposition universelle de 1889. Il faudra 14 jours au foudre, tiré par 24 bœufs et 18 chevaux,  pour aller d’Épernay à Paris.


Le négoce se concentre de plus en plus autour de Reims et d’Épernay. Avec la vogue croissante du champagne, les négociants les plus importants édifient des fortunes considérables. 

 

Vue aérienne du Champagne Pommery à la veille de la Première Guerre mondiale (coll.part).

Mme Pommery fait construire, de 1868 à 1878, sur la Butte Saint-Nicaise à Reims, un remarquable ensemble architectural de style néo-gothique anglais. Sous les bâtiments de grands travaux d’aménagement des crayères sont entrepris pour permettre un meilleur vieillissement des vins.

 

La société du champagne, d'origine bourgeoise au départ, devient de plus en plus aristocratique en s'alliant avec des représentants de la noblesse titrée.

 



Le tableau représente Mme Clicqot (1777-1866) et son arrière-petite-fille, Anne de Rochechouart de Mortemart. En arrière-plan, à droite le château de Boursault, près d'Epernay, que Mme Clicquot a fait construire dans les années 1840. Clémentine Clicqot, fille de Mme Clicqot, avait épousé en 1817 le comte Louis de Chevigné. Leur fille, Marie-Clémentine de Chevigné, avait épousé en 1839 Louis de Rochechouart comte de Mortemart. Leur  fille Anne naît en 1847 (en 1867, elle épousera le duc d'Uzès). L’œuvre a été réalisée vers 1860 par le peintre Léon Cogniet (1794-1880) et elle est conservée au château de Brissac dans le Maine-et-Loire.

Si le rôle du négoce est déterminant pour le succès du champagne, son activité dépend aussi étroitement de celle des vignerons. Or la situation de ces derniers est médiocre. Les travaux de la vigne sont pénibles et les petits propriétaires se trouvent sous la menace des calamités, intempéries ou maladies, qui peuvent toucher leurs vignes.

Le processus de champagnisation s’améliore. L’assemblage permet à chaque producteur de rester fidèle au type  de vin apprécié par ses clients. La maîtrise de la mousse progresse  tandis que la casse des bouteilles diminue. Quant à l’élimination du dépôt provenant des levures,  il est encore effectué à la main jusqu’à la fin du XIXe où survient une importante amélioration, le dégorgement à la glace.

 


Le dégorgement à la glace à la Belle Époque  La maison Théophile Roederer, fondée en 1864 et située avenue de Châlons à Reims, sera absorbée en février 1904 par la maison Louis Roederer.

 

Après le dégorgement il est procédé au dosage, qui consiste à adoucir le vin avec une proportion de sucre variable selon les producteurs. Cependant, dans les pays anglo-saxons, une demande se développe pour  un champagne brut, très peu dosé et appelé à un bel avenir. Vers 1850, on commence à utiliser une sorte de muselière en fil de fer posée par une machine à agrafer, ancêtre de l’actuel muselet. Au XIXe siècle, l’habillage des bouteilles et l’emballage sont encore effectués à la main. Le champagne fait donc appel à une main-d’œuvre importante dont le sort est est plutôt meilleur que celui des travailleurs d’autres industries mais reste bien précaire si on le compare à celui des ouvriers d’aujourd’hui. 

 


L'emballage aux caves Pol Roger d’Épernay, photo de 1905 (coll.part).


Au XIXe siècle, la clientèle du champagne s’élargit. Apprécié en France, le champagne l’est aussi à l’étranger. La mode est de le boire frappé, la bouteille étant mise dans un seau rempli de glace. En un siècle, la production annuelle de vin effervescent passe de 300 000 à 25 millions de bouteilles. Pourtant, tandis que le négoce prospère, la situation des vignerons se détériore gravement. Le développement du chemin de fer a permis aux vins rouges des départements du Midi d’évincer les vins rouges de consommation courante produits en Champagne, ce qui explique le recul global des superficies plantées en vignes puisque ne demeurent que celles qui servent à produire le vin effervescent. Mais concernant la production de ce dernier, ses coûts, ses risques et sa technicité ont réduit les vignerons à n’être plus que des vendeurs de raisins. Au tournant des XIXe et XXe siècles, les vignerons doivent aussi faire face au phylloxéra et au mildiou. Pour ne rien arranger certains négociants sans scrupules achètent du raisin dans d’autres régions viticoles susceptibles de les approvisionner pour moins cher, ce qui constitue une supercherie sur la qualité de la marchandise livrée.

C’est dans ce contexte que commence la bataille sur la délimitation de la Champagne vinicole. Un décret la fixant paraît en décembre 1908 mais son contenu provoque un tollé en Haute-Marne et dans l’Aube qui en ont été écartées. De leur côté les vignerons marnais exaspérés par la mévente se livrent dans l'hiver 1910-1911, à de violentes manifestations. Pour les calmer, il est décidé que pour bénéficier de la dénomination de champagne, les vins mousseux devront provenir uniquement de raisins récoltés dans la Champagne viticole délimitée en 1908. Mais, cette fois, ce sont les vignerons aubois qui se soulèvent. Les deux vignobles, celui de la Marne et celui de l’Aube, sont alors mis en état de siège et occupés par l’armée. 

 

 

la révolte des vignerons aubois (coll.part).

 


 L'état de siège à Épernay (Archives départementales de la Marne).

 

En juin 1911, un décret qui revient sur la délimitation de 1908, mais sans la supprimer officiellement, a du moins le mérite d'apaiser les violences. Cependant il faut attendre la loi de juillet 1927 pour que cesse définitivement le conflit entre Marnais et Aubois. Cette loi met aux oubliettes les décrets de 1908 et de 1911 et elle définit des règles générales, renforçant la notion d’origine géographique et introduisant des critères de qualité et de cépages autorisés. Elle réintègre aussi l’Aube dans la Champagne vinicole.


Carte de la Champagne vinicole délimitée par la loi du 22 juillet 1927 (en ligne sur Gallica). En 1936, le vignoble champenois est un des premiers à bénéficier d'une Appellation d'Origine Contrôlée  (l'AOC naît par le décret-loi  du 30 juillet 1935).


Au sortir du premier conflit mondial la situation du vignoble est grave. Les vignes qui ont dû être abandonnées autour de Reims sont bouleversées par les trous d’obus et parsemées de projectiles non éclatés. Celles qui sont restées à l’écart des combats ne sont souvent qu’en demi-production. Cependant, au prix d’un travail considérable, le vignoble est pratiquement rétabli entre 1920 et 1930. Mais au cours de l'entre-deux-guerres, le champagne est victime de graves crises économiques. Il y a d’abord la fermeture de marchés importants : l’Allemagne vaincue est appauvrie ; en Russie la révolution communiste a fait disparaître la classe aristocratique, qui était à peu près la seule à consommer du champagne ; aux États-Unis, c’est la prohibition de l’alcool. Puis, en 1929, survient la crise mondiale qui entraîne un recul général des échanges. Le vigneron n’arrive plus à placer sa récolte auprès du négoce qui, lui-même, peine à vendre ses stocks.

Pendant la Seconde Guerre mondiale la Champagne est occupée par les Allemands qui établissent à Reims un bureau chargé de fixer leurs prélèvements. Ces derniers oscillent chaque année entre 15 et 18 millions de bouteilles, les fournisseurs désignés étant payés sur des bases inférieures au prix du marché mais leur permettant de couvrir tout de même leurs frais. Ils restent libres d’expédier le surplus de leur production en France et vers les pays neutres. C’est pendant cette période noire qu’est mis sur pied le Comité interprofessionnel du vin de Champagne, le CIVC, qui sera par la suite l'un des facteurs essentiels de la réussite du  champagne. 

 

 


Inauguration en 1951 des bâtiments actuels du CIVC à Epernay (La Champagne viticole, mai 2011).


A la fin de la Seconde Guerre mondiale, le champagne est dans une situation critique mais petit à petit les séquelles du conflit disparaissent et, à partir du milieu des années 1950, débute une phase très brillante qui dure jusqu’à aujourd’hui. Au début du XXIe siècle, le vignoble s’étend sur 34 200 hectares situés sur 319 communes réparties sur trois régions et cinq départements : Aube, Marne et Haute-Marne, dans le Grand-Est, Aisne dans les Hauts-de-France et Seine-et-Marne en Île-de-France. Sept cépages sont autorisés dans la composition du champagne mais les trois principaux que sont le pinot noir, le meunier et le chardonnay représentent plus de 99 % du vignoble. Plus de 16 000 vignerons cultivent ce terroir, et plus de 300 millions de bouteilles sont vendues chaque année dont plus de la moitié à l’étranger. Les maisons de champagne produisent la majorité des bouteilles vendues dans l’appellation, mais ellles ne possèdent en propre que 10 % du vignoble. Le champagne des grandes maisons est donc réalisé, en large majorité, à partir de moût acheté à des vignerons qui cultivent leurs vignes mais ne vinifient pas. A côté, on compte environ 4 000 vignerons indépendants, les récoltants-manipulants, qui cultivent eux-mêmes leurs vignes et vinifient leur propre champagne.