Accéder au contenu principal

Deux papes liés à Reims, Sylvestre II et Urbain II

  

Deux papes du Moyen-Age posèdent des liens avec Reims : Sylvestre II, le pape de l'An mil, et Urbain II, le pape de la première croisade. Entre les deux existe d'ailleurs une sorte de chassé-croisé puisque Sylvestre II qui n'est pas né dans notre région a vécu à Reims plus de deux décennie alors qu'Urbain II qui est né près de Reims, ville où il a aussi reçu sa formation de clerc, va ensuite quitter notre région.


Sylvestre II


 

 
Gravure représentant Sylvestre II (Bibliothèque municipale de Reims).

 

Gerbert d’Aurillac, le futur Sylvestre II, naît vers 950 dans une famille modeste, originaire du Limousin, sans qu’on en sache plus sur le lieu exact de sa naissance. Alors qu’il a une dizaine d’années, Il est confié au monastère de Saint-Géraud, à Aurillac. Il se distingue rapidement par ses capacités intellectuelles, ce qui fait que le supérieur du monastère, lors d’une visite du comte de Barcelone, convainc ce dernier d’emmener le jeune Gerbert avec lui en Catalogne. Là, il va suivre aux universités de Vic et de Ripoll ce que l’on nomme à cette époque le quadrivium qui regroupe l'arithmétique, la géométrie, l'astronomie et la musique. Il y découvre les grands mathématiciens arabes que les Catalans ont traduits. Après un séjour à Rome, puis en Allemagne où il est le précepteur du fils de l’empereur Otton Ier, Gerbert d’Aurillac vient à Reims en 972 comme "écolâtre", c’est à dire directeur, de l’école épiscopale de Reims qui est alors l’une des plus réputées d’Occident. En 980, il part pour l’Italie où son ancien élève, devenu l’empereur Otton II, l’a nommé supérieur de l'abbaye de Bobbio. Mais cela se passe mal et Gerbert revient à Reims en 984 où il retrouve ses fonctions d’écolâtre. A la mort de l’archevêque de Reims Adalbéron, en 989, Gerbert pense lui succéder comme le souhaitait d'ailleurs Adalbéron mais le roi Hugues Capet, pour des raisons politiques, préfère nommer à Reims un autre candidat, nommé Arnoul. Cependant, Arnoul, malgré la parole donnée ne tarde pas à trahir le roi, en permettant à son oncle, le duc de Lorraine, d’entrer avec ses soldats dans Reims et de ravager la ville. Hugues Capet décide alors de faire juger Arnoul par un concile d’évêques réuni à Verzy, dans la montagne de Reims, en juin 991. Arnoul est déposé et remplacé par Gerbert. 

Mais l’élection de Gerbert comme archevêque de Reims suscite de fortes oppositions. Son exceptionnelle intelligence ne fait pas oublier à certains qu’il est de naissance obscure et qu’il n’appartient pas à un puissant lignage. Surtout le pape n’a pas apprécié d’avoir été tenu à l’écart du concile de Verzy. En 996, Gerbert part à Rome pour défendre sa cause et là il rencontre le nouvel empereur d’Allemagne, le jeune Otton III qui a 19 ans et dont il devient le proche conseiller. En 998, Hugues Capet meurt et son successeur Robert le Pieux, qui a épousé sa propre cousine, négocie avec le pape la reconnaissance de la validité de ce mariage contre le retour d’Arnoul comme archevêque de Reims. Évincé du siège de Reims, Gerbert, qui a alors presque 60 ans, se retire en Allemagne auprès d’Otton III. Ce dernier, pour le dédommager de la perte de son archevêché de Reims, lui donne celui de Ravenne en Italie. Quelques mois plus tard, en février 999, le pape Grégoire V étant mort, Otton III offre à Gerbert le siège de Saint Pierre. 

 

 Le roi de France Robert le Pieux remettant un parchemin au pape Sylvestre II, miniature du XIIIe siècle (Gallica-BNF).

Devenu pape, le premier d'origine française, Gerbert choisit le nom de Sylvestre II, ce qui n’est pas un hasard. En effet Sylvestre 1er ayant été pape sous l’empereur Constantin, Silvestre, Gerbert d'Aurillac se veut dans une position identique avec l’empereur Otton III. Pour l’anecdote, le nouveau pape, aimait à dire qu’il était passé de R en R : Reims, Ravenne, Rome. Sylvestre II n’a pas été un pape inactif. Parmi les affaires qu’il règle, il accorde son pardon à Arnoul qui restera archevêque de Reims jusqu’à sa mort. Mais son pontificat ne dure que quatre ans puisque Sylvestre II meurt en mai 1003. Il est inhumé dans le portique de la basilique Saint-Jean-de-Latran à Rome.

En tant que pape, Gerbert d’Aurillac a été relativement oublié mais ses écrits scientifiques ont joui d'une grande renommée tout au long du Moyen-Age. 

 

 

 

Urbain II

 



Vitrail représentant Urbain II, église Saint-Eutrope à Saintes (coll.part).


Eudes de Châtillon, futur pape Urbain II, naît en 1035 dans une famille noble dont les possessions sont centrées sur le village de Châtillon-sur-Marne, à une trentaine de kilomètres de Reims. Il reçoit sa formation de clerc à l’école épiscopale de Reims dont l’écolâtre est alors Bruno de Cologne, futur saint et fondateur du monastère de la Grande-Chartreuse près de Grenoble. En 1067, Eudes de Châtillon se fait moine à l’abbaye de Cluny où il va rester jusqu’en 1079 quand le pape Grégoire VII le fait venir à Rome et le nomme cardinal-évêque d’Ostie. Grégoire VII souhaite en effet s’appuyer sur les moines clunisiens pour l'aider dans la réforme de l’Église qu’il vient de mettre en oeuvre.

Cette réforme, dite grégorienne, a deux objectifs. Le premier est de purifier les mœurs ecclésiastiques en interdisant la simonie, c’est à dire la vente des sacrements ou des charges ecclésiastiques, et le concubinage des prêtres qui est fréquent à l’époque. Le second objectif vise à émanciper l’Église du pouvoir temporel en interdisant que des laïcs puisse investir les évêques. C’est ce point précis qui va déclencher la querelle des investitures entre le pape et les empereurs germaniques qui ont l’habitude d’investir les évêques dans le domaine temporel mais aussi dans le domaine religieux. La querelle ne prendra fin qu’en 1122, au Concordat de Worms, où l’empereur tout en conservant l’investiture temporelle renonce à l’investiture spirituelle désormais entièrement réservée au pape. 

Cette longue lutte est jalonnée d’épisodes marquants. Grégoire VII excommunie par deux fois l’empereur germanique Henri IV tandis que ce dernier fait élire un antipape, Clément III, ce qui explique que Grégoire VII meurt non pas à Rome mais dans le sud de l’Italie où il s'est réfugié. Aussi ne faut-il pas s’étonner que quand, en 1088, Eudes de Châtillon est élu pape sous le nom d’Urbain II, ses premières années de pontificat soient très difficiles. Le nouveau pape doit faire face à l’antipape Clément III qui a le soutien de la majorité des cardinaux et de l’empereur germanique Henri IV. Au départ, Urbain II ne peut même pas entrer à Rome tenue par les partisans de Clément III et d’Henri IV. Finalement, après de nombreux rebondissements, qu’il serait trop long de raconter, Urbain II réussit à évincer totalement Clément III en 1098.

Il peut alors affermir son autorité. Par exemple il n’hésite pas à excommunier le roi de France Philippe Ier qui avait répudié sa femme pour en épouser une autre. Il cherche à accroître le prestige de la papauté en poursuivant l’œuvre de réforme entamée par Grégoire VII en renouvelant les décrets contre la simonie et le concubinage des prêtres. Surtout, en novembre 1095, il réunit un concile à Clermont en Auvergne (Clermont-Ferrand aujourd'hui). 

 



 Urbain II présidant le concile de Clermont, miniature du XVe siècle (Gallica-BNF).

 

Ce concile, tenu dans la cathédrale et présidé par Urbain II lui-même rassemble 13 archevêques, 82 évêques et 90 abbés. Il instaure la Paix de Dieu : épargner les faibles, les clercs, ne pas se battre le dimanche et les jours des fêtes religieuses. Mais surtout, c’est à ce même concile de Clermont qu’Urbain II prêche la première croisade pour permettre à la Chrétienté de récupérer les Lieux saints alors aux mains des musulmans. Le pape s'adresse aux chevaliers chrétiens de toute l'Europe à qui il promet que s’ils s’engagent dans la croisade tous leurs péchés seraient lavés. Cette première croisade aboutit le 15 juillet 1099 à la prise de Jérusalem par les croisés. Mais Urbain II meurt quelques jours plus tard, le 29 juillet 1099, sans avoir eu connaissance de l’évènement, du fait de la lenteur que mettent les nouvelles à circuler à l’époque. A sa mort, la papauté a raffermi son autorité et fortifié les principes de la Réforme grégorienne.

Deux statues d’Urbain II existent en France, toutes deux élevées à la fin du XIXe siècle. 

 

 

 La première, la plus monumentale, a été élevée en 1887 à Châtillon-sur-Marne. Commandée par les autorités religieuses, elle montre le pape un doigt pointé vers le ciel. La statue, haute de 9 mètres est posée sur un socle d’une vingtaine de mètres de hauteur. L’ensemble en granit, culminant à 32 mètres de hauteur domine la vallée de la Marne. 



La seconde, moins impressionnante, est une statue de bronze qui orne la fontaine dite d’Urbain II située place de la Victoire à Clermont-Ferrand et qui a été inaugurée en 1898.

 

 

 

 

 

 





 

 

 




Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

La draperie sedanaise

Une activité textile fondée sur la laine cardée existe déjà à Sedan au XVIe siècle mais son importance est bien médiocre. il faut attendre le rattachement de la principauté au royaume de France en 1642 pour que débute véritablement l’industrie textile sedanaise, toujours spécialisée dans la laine cardée. En juin 1646, un arrêt du Conseil d’État accorde à un marchand parisien, Nicolas Cadeau, le privilège de fabriquer " certains draps noirs et de toute autre couleur, façon à la manière de Hollande ". Il s’agit de draps de luxe, en laine fine, très prisés à la cour du roi, dans le clergé et la magistrature, et que la France achetait jusque-là aux Pays-Bas ou en Espagne. Il faut dire qu’à l’époque domine la théorie mercantiliste, dont le plus célèbre représentant en France est le rémois Jean-Baptiste Colbert, qui estime que, la puissance d’un État se mesurant à sa richesse monétaire, il faut éviter le plus possible d’importer des produits étrangers comme l’explique alors ...

Printemps 1806, l’élite rémoise s’initie à la mnémonique.

  Le début du XIXe siècle connaît un véritable engouement pour les techniques de mémorisation, ces mnémotechnies (ou mnémotechniques) que le Grand Larousse du XIXe siècle définit comme l’art de faciliter par des moyens artificiels les opérations de la mémoire. Reims ne fait pas exception à cet engouement comme le montre le succès du cours donné au printemps 1806 par un certain François Guivard, "professeur et unique délégué de M. de Feinaigle, inventeur de la nouvelle méthode de mnémonique ou l’art d’aider et de fixer la mémoire dans tous les genres d’études et de sciences".   ( Archives municipales et communautaires de Reims, cours de mnémonique de François Guivard).    Grégoire de Fainaigle  Grégoire de Feinaigle est l'un des auteurs de mnémotechnies les plus célèbres du début du XIXe siècle. Né en 1760 en Allemagne dans le pays de Bade, il est d’abord moine au monastère cistercien de Salem, au bord du lac de Constance. En 1803, il quitte...

Deux musiciens rémo-ardennais, Nicolas de Grigny et Etienne-Nicolas Méhul.

  Nicolas de Grigny naît le 8 septembre 1672 à Reims dans une famille de musiciens qui tiennent les orgues de plusieurs églises rémoises. De toute la famille, Nicolas est de loin le plus brillant. Il parfait sa formation à Paris où il est l’élève de Nicolas Lebègue, un des organistes du roi. Il tient aussi, de 1693 à 1695, les orgues de l’église abbatiale de Saint-Denis. Nicolas de Grigny regagne Reims en 1697 comme titulaire de l’orgue de la cathédrale. Deux ans plus tard il fait paraître une œuvre majeure, son livre d’orgue , qui contient une messe et plusieurs hymnes. Malheureusement, celui qui est à l’aube d’une carrière considérable meurt prématurément à Reims le 30 novembre 1703 à seulement 31 ans, laissant derrière lui une veuve et sept enfants. Après lui, l’orgue français va délciner alors que se développe l’école allemande dont le plus célèbre représentant, Jean-Sébastien Bach, admirait Nicolas de Grigny. Il avait ainsi intégralement recopié ...

L’enseignement secondaire des garçons à Charleville au XIXe siècle.

  Le 1 er septembre 1803 un collège communal public (mais payant) ouvre à Charleville. Cette ouverture est permise par la loi du 11 floréal an X (1er mai 1802) voulue par Napoléon Bonaparte, alors premier Consul, et qui réorganise l'enseignement public après l'épisode de la Révolution. En ce qui concerne l'enseignement secondaire sa principale mesure est  la création des lycées, financés par l’État. Mais la  loi ajoute aussi que les communes peuvent établir à leurs frais des "écoles secondaires où seront enseignées les langues latine et française, les premiers principes de la géographie, de l'histoire et des mathématiques". Par la suite, ces écoles secondaires vont prendre le nom de collèges communaux, puis de collèges tout court. Dirigé par l’abbé Delvincourt, le collège communal de Charleville s’installe dans une partie des bâtiments d’un ancien couvent, le couvent du Saint Sépulcre. Il ne faut pas s'étonner de la présence d'u...

Le rémois Fernand Labori, un des défenseurs du capitaine Dreyfus.

    Portrait de Fernand Labori (Bibliothèques de Reims). Fernand Labori naît à Reims le 18 avril 1860. Son père, inspecteur de la Compagnie des Chemins de fer de l'Est, aurait souhaité que son fils, après ses études secondaires au lycée de garçons de Reims , devienne négociant en champagne. Mais ce n’est pas du tout la vocation du jeune Labori qui , lui, entend devenir avocat. Finalement Fernand Labori obtient gain de cause et part à Paris faire son droit. Il devient avocat en 1884. Il accède à la notoriété en 1894 en étant commis d’office pour assurer la défense de l’anarchiste Auguste Vaillant qui, le 9 décembre 1893, avait jeté une bombe à la Chambre des députés, faisant plusieurs blessés. Malgré la plaidoirie de Fernand Labori, Auguste Vaillant est condamné à mort et guillotiné.     L'attentat du 9 décembre 1893 à la Chambre des députés (Musée Carnavalet).   Mais c’est surtout...

Du roman feuilleton aux séries télévisées.

  Le roman-feuilleton est un roman publié d'abord sous forme d’épisodes dans un journal. Le premier roman-feuilleton est la La Vieille Fille d’Honoré de Balzac qui paraît dans le quotidien La Presse  durant les mois d’octobre et de novembre 1836. Au départ, ce type de publication est pensé comme une première présentation de l’œuvre avant sa parution en volume, ce qui sous-entend que le livre est déjà entièrement écrit quand on commence à le publier en épisodes. Par la suite, les auteurs développent une écriture spécifique pour les romans-feuilletons où tout n’est pas programmé à l’avance, des péripéties étant rajoutées au fur et à mesure afin de conserver l’attention des lecteurs. Certains auteurs le font même au fil de la plume sans vraiment avoir fixé ce qui va suivre. Le public prend vite goût à ce mode de publication et les romans-feuilletons vont rapidement contribuer à augmenter le tirage des  journaux, faisant ainsi baisser leur prix de vente .    L...

Un Ardennais à l'origine de la Sorbonne

  "Vénérable et scientifique, Messire Robert de Sorbon", estampe du XVIIe siècle (Gallica-BNF). Robert de Sorbon naît le 19 octobre 1201 à Sorbon, petit village ardennais situé près de Rethel. Il est fils de « vilain », c’est-à-dire de paysan dans le langage de l’époque. Jeune homme doué il s’oriente vers le clergé, qui est quasiment la seule voie de promotion à l’époque pour les enfants tels que lui. Il semble qu’il ait fait ses études primaires dans une école monastique à Rethel puis, ensuite, à Reims. Arrivé à Paris, sans doute en 1215, il suit les cours de l’Université, de création toute récente. En effet, longtemps Paris n’a disposé que d’une école cathédrale où étaient enseignés le latin, la logique et l’Écriture  sainte. Mais cette école n’était en rien plus réputée que celles d’autres villes comme Orléans, Chartres, Laon ou Reims. Cette situation change après 1150. De nouvelles écoles sont fondées ...

Les débuts de la papauté

Dès le départ, l’ évêque de Rome occupe une place à part dans la chrétienté.  Rome est en effet la capitale de l’empire romain mais, surtout, le lieu du martyre des saints apôtres Pierre et Paul. Pierre venu à Rome au milieu du 1 er siècle y a été martyrisé au temps de Néron, probablement vers 69. De même, Paul y a été condamné à mort et exécuté entre 58 et 68. Autour de la tombe de Pierre et, dans une moindre mesure de celle de Paul, se développe un culte, d’abord clandestin puis au grand jour quand l’empereur Constantin fait du christianisme la religion officielle de l’empire romain.  Constantin donne à l'évêque de Rome le domaine du Latran qui se situe à l'époque hors des murailles de la ville. L'empereur y fait bâtir la Basilique Saint-Jean-de-Latran pour servir de cathédrale à l'évêque et un palais adjacent pour sa résidence ( ce n’est qu’à la fin du Moyen-Age que le pape s’installe définitivement au Vatican). Pour abriter les reliques des deux martyrs, l...

Les Ardennes occupées (1914-1918).

    Durant la première Guerre mondiale dix départements français sont occupés par les Allemands. Neuf (dont la Marne) le sont partiellement mais un, les Ardennes, l’est dans sa totalité. Cette situation spécifique des Ardennes se maintient d’ailleurs jusqu’à la fin du conflit puisque Rethel n’est libéré que le 6 novembre 1918, Charleville le 9 et Sedan le 10. Les populations de ces départements, et au premier chef les Ardennais, vivent ainsi une guerre très différente de celle vécue par les autres Français.   Tout d’abord les Ardennais, comme tous les habitants des zones occupées par les Allemands, sont coupés de toute information venant de France. Toute correspondance avec la France est interdite. Les Allemands interdisent les appareils téléphoniques et imposent aux propriétaires de pigeons voyageurs de les tuer. La presse française est interdite. Du coup les habitants du département ignorent tout du déroulement des opérations militaires et les famill...