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Le rémois Fernand Labori, un des défenseurs du capitaine Dreyfus.

 

 Portrait de Fernand Labori (Bibliothèques de Reims).


Fernand Labori naît à Reims le 18 avril 1860. Son père, inspecteur de la Compagnie des Chemins de fer de l'Est, aurait souhaité que son fils, après ses études secondaires au lycée de garçons de Reims, devienne négociant en champagne. Mais ce n’est pas du tout la vocation du jeune Labori qui, lui, entend devenir avocat. Finalement Fernand Labori obtient gain de cause et part à Paris faire son droit. Il devient avocat en 1884. Il accède à la notoriété en 1894 en étant commis d’office pour assurer la défense de l’anarchiste Auguste Vaillant qui, le 9 décembre 1893, avait jeté une bombe à la Chambre des députés, faisant plusieurs blessés. Malgré la plaidoirie de Fernand Labori, Auguste Vaillant est condamné à mort et guillotiné.

 

 

L'attentat du 9 décembre 1893 à la Chambre des députés (Musée Carnavalet).

 

Mais c’est surtout son rôle dans l’affaire Dreyfus qui reste dans l’histoire. En 1898, Fernand Labori défend les intérêts de l’épouse et du frère du capitaine Dreyfus. La même année, c’est aussi lui qui défend Émile Zola dans le procès qui lui est intenté pour avoir écrit le fameux "J’accuse". En 1899, il est, aux côtés de maître Demange, pour défendre le capitaine Dreyfus lors du procès de Rennes.

 

 Fernand Labori au procès de Rennes (Archives de la Ville de Rennes).

C’est dans cette ville que Fernand Labori est victime d’un attentat au revolver le 14 août. Blessé il est absent du procès une semaine.

 

Couverture de La semaine illustrée (Bibliothèques de Reims).

 

De retour au tribunal, Fernand Labori devra renoncer finalement à sa plaidoirie à la demande des soutiens de Dreyfus qui craignent que la virulence de ses propos ne braquent le jury militaire. L'avocat en ressent une profonde amertume qui l'amène à rompre avec le camp dreyfusard et même à tenir des propos antisémites.

Fernand Labori intervient aussi dans deux procès spectaculaires, mais dans des registres très différents de l’affaire Dreyfus puisqu'il s'agit de deux faits divers qui, oubliés aujourd'hui, ont à l'époque défrayé la chronique. En 1903, il défend Thérèse Humbert. Cette dernière, née Marie-Thérèse Daurignac est la fille d'un agriculteur qui avait déjà trompé des prêteurs crédules en s'inventant un oncle d’Amérique qui lui aurait légué de grosses sommes d’argent mais dont il ne pourrait jouir immédiatement. Sa fille reprend l'idée, mais à une toute autre échelle, et elle monte une gigantesque escroquerie qui ébranlera les milieux financiers et politiques. Sa première victime est son mari, Frédéric Humbert, le fils d'un sénateur. Pour convaincre son futur beau-père qu’elle est un bon parti, Thérèse affirme être l’héritière d’un riche américain dont la fortune lui serait contestée par les deux neveux de ce dernier. Aidée par son mari, qui entre temps est devenu son complice, elle emprunte des sommes considérables en assurant ses créanciers, la plupart membres de l'élite politique et financière, qu'ils seront remboursés dès lors qu’elle aura la libre disposition des 100 millions prétendument conservés dans un coffre. L'escroquerie fonctionnera pendant 17 ans, de 1895 à 1902, et permettra aux époux Humbert  de mener un train de vie fastueux. En 1902, l’escroquerie est enfin découverte : le coffre est vide. Les époux passent en Cour d'Assises et sont condamnés à cinq ans de prison. La légèreté de la sentence par rapport à l'ampleur de l'escroquerie s'explique par la gêne de la justice face à des coupables qui ont essentiellement trompé des prêteurs de la bonne société et avides de gains faciles.


 

Cette carte postale de 1902 représente Frédéric Humbert assis dans un fauteuil, face à un coffre-fort ouvert contenant quelques pièces et un lapin ayant un billet dans sa gueule. Thérèse Humbert, appuyée au coffre-fort, converse avec deux hommes, dont l’un lui tend des billets. A l’arrière, un groupe d’hommes tenant aussi des liasses de billets, accourt dans sa direction. Derrière Thérèse Humbert on voit son frère et sa sœur qu'elle faisait passer pour les fameux neveux qui lui disputaient l'héritage (Gallica).

 

En juillet 1914 il assiste Henriette Caillaux qui a abattu à coups de pistolet Gaston Calmette, le directeur du Figaro, qu’elle accuse de salir son mari, l’homme politique Joseph Caillaux. Ce dernier, l'un des chefs du parti radical, principale formation de la gauche, est alors ministre des finances. Détesté par la droite qui lui reproche son projet d’instaurer un impôt sur le revenu, il devient la cible du Figaro qui le présente comme un affairiste malhonnête. En outre, le journal publie des lettres intimes que Joseph Caillaux a écrites à Henriette alors qu'elle n'était que sa maîtresse.

 

Fernand Labori défendant Mme Caillaux, photographie d'agence de presse (Gallica).

 

Le procès s'ouvre le 20 juillet 1914 et débouche, à la surprise générale, le 28 juillet, à l’acquittement de Mme Caillaux. Il faut dire que, outre le fait que Joseph Caillaux a pu jouer de son influence, Fernand Labori a eu l'habileté de plaider le crime passionnel d'une épouse dévastée par la publication de lettres personnelles.

 

Fernand Labori s’est aussi lancé en politique mais avec des fortunes diverses. En 1893, il est le candidat des républicains modérés dans la première circonscription de Reims mais il échoue au second tour face au candidat socialiste, Léon Mirman. Par contre, il est élu en 1906 à Fontainebleau, cette fois comme candidat indépendant. Il s’inscrit alors au groupe de la gauche radicale et soutient le ministère Clemenceau. Mais Fernand Labori est mal à l’aise à la Chambre des députés. Il n’a pas la passion de la politique et a du mal à accepter les accommodements électoraux nécessaires dans la réalité démocratique. Assez amer, il ne fait qu’un mandat et ne se représente pas en 1910. Très affecté par la guerre et affaibli par la maladie, il meurt le 14 mars 1917.

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