Représentation du Prêtre Jean, souverain d'un royaume chrétien situé vers l'Éthiopie, Détail d’un portulan anonyme du XVIe siècle (Oxford Library).
La première mention du Prêtre Jean apparaît vers 1150, à un moment où les chrétientés orientales cèdent devant l'avance musulmane. Une ambassade arménienne venue en Occident chercher du secours affirme qu’il existerait en Extrême-Orient un certain Prêtre Jean, à la fois roi et prêtre chrétien. Elle précise aussi qu’il s’agirait d’un descendant des Rois Mages de l'Évangile et qu’il serait immensément riche. Au XIXe siècle les historiens ont mis en évidence que l’évènement réel qui a probablement inspiré ce récit est une victoire remportée en 1141 sur les musulmans par un général chinois. Mais la vérité historique n’est pas ce qui intéresse le public médiéval comme le montre deux décennies plus tard le succès considérable d’une lettre attribuée à ce Prêtre Jean, lequel se présente comme investi par le Christ lui-même d'un double pouvoir, à la fois royal et sacerdotal. En fait, la lettre est un faux fabriqué dans l’entourage de l’empereur germanique Frédéric Barberousse alors en lutte avec la papauté pour savoir lequel, du pouvoir temporel ou du pouvoir spirituel, doit l'emporter sur l'autre. Dans cette perspective un Prêtre Jean, à la fois roi et prêtre, va d’évidence dans le sens des prétentions impériales. Mais si l’opinion se passionne autant pour le Prêtre Jean c’est surtout parce qu’il est censé régner sur un royaume fabuleux.
En 1245, une mission chargée de trouver le Prêtre Jean est envoyée en direction de la Tartarie, c’est à dire de terres qui dépendent de l’empire mongol. Au début, les envoyés croient avoir réussi car ils trouvent effectivement quelques communautés chrétiennes. Mais, très vite, ils déchantent en constatant que ces chrétiens, dont on sait aujourd’hui qu’ils sont là depuis la fin de l’Antiquité, sont des adeptes de l’hérésie nestorienne qui ne reconnaît pas la double nature divine et humaine du Christ et, beaucoup plus grave, qu’ils sont peu nombreux. Cela dit, l’existence d'un royaume chrétien situé en Asie et dirigé par un Prêtre Jean n'est pas encore vraiment remise en cause. Dans son ouvrage écrit à la toute fin du XIIIe siècle, Le Devisement du Monde ou Livre des Merveilles, Marco Polo évoque à plusieurs reprises le Prêtre Jean.
Le Prêtre Jean reçoit les messagers de Gengis Khan...
Cependant, au début du XIVe siècle, on assiste à l’abandon de la localisation asiatique du royaume du Prêtre Jean au profit d'une localisation africaine. De fait, l'incertitude des connaissances géographiques de l’époque et l’imprécision de la prétendue lettre du Prêtre Jean, rendaient plausible une localisation en Afrique de ce royaume. Tout d'abord, depuis l’Antiquité l'Afrique jouit d'une réputation de grande richesse. Ensuite, à Jérusalem, les Européens ont l’occasion de rencontrer des chrétiens de la Corne de l’Afrique, venus en pèlerinage aux Lieux Saints. Par exemple, en 1204 le croisé Robert de Clari décrit un roi Éthiopien qui a « toute la chair noire et une croix sur le front, faite avec un fer chaud », faisant par là allusion à la coutume en usage chez les coptes éthiopiens de marquer d’une croix le front des bébés. Pour autant, Robert de Clari n’assimile pas ce souverain bien réel au Prêtre Jean que l’on cherche encore à ce moment-là en Asie.
Le premier à avoir situé le royaume du Prêtre Jean en Afrique est Jourdain de Séverac, un missionnaire dominicain, qui dans sa Description des merveilles de l'Asie, écrite vers 1320-1330, évoque « l'empereur éthiopien appelé Prêtre Jean». A partir de Jourdain de Séverac, l'assimilation entre le Prêtre Jean et l’empereur d'Éthiopie, n’est plus vraiment mise en doute. En outre, c’est à cette époque, qu'apparaissent les premières cartes qui se veulent précises (même si pour nous elles ne le sont guère).
Extrait d'un manuscrit du début du XVe siècle (Gallica-BNF).
Ces cartes indiquent la localisation du royaume du Prêtre Jean, la manière d’y parvenir et de nombreux renseignements sur ce territoire qui mêlent étroitement des éléments réels et des éléments imaginaires. Sur certaines de ces cartes on peut voir des représentations du Prêtre Jean tel que se l’imagine l’Occident chrétien : un personnage, de couleur blanche et non pas noire, assis sur un trône et tenant d'une main un glaive, de l'autre une crosse d’évêque, c’est à dire les symboles de son pouvoir à la fois temporel et spirituel. Derrière tout cela existent aussi des visées stratégiques. Les Européens ambitionnent d'atteindre le royaume du Prêtre Jean afin de persuader son souverain de participer à une nouvelle croisade pour reprendre aux musulmans les Lieux Saints, croisade qui d’ailleurs n’aura jamais lieu. De leur côté, en 1540, le souverain éthiopien n’hésite pas à se réclamer du Prêtre Jean pour obtenir une aide militaire portugaise afin de repousser une attaque musulmane.
Quand les Grandes découvertes commencent on espère encore trouver le royaume du Prêtre Jean. Christophe Colomb lui-même pense avoir localisé le paradis terrestre qui est, à l’époque, souvent assimilé au royaume du Prêtre Jean. Mais quand on se rend compte qu’il s’agit d’un nouveau continent, l’Amérique, l’intérêt des Européens pour le royaume du Prêtre Jean s’estompe pour se porter sur d’autres terres fabuleuses de ce Nouveau Monde comme l’Eldorado aux richesses inépuisables.
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