La cité la plus ancienne est Mézières. Sa fonction au départ est militaire puisque la ville est née d’un château-fort au pied duquel s’est progressivement développé un habitat. Vers 900, il ne s’agit que d' une simple fortification de bois au sommet d’une motte de terre. Après l’an mil, la fortification est refaite en pierres maçonnées. Remanié encore plusieurs fois par la suite, le château-fort est touché par un incendie en 1338 ce qui amène le comte de Rethel, dont dépend Mézières, à s’installer dans l’Hôtel des Tournelles, siège de l’actuelle préfecture des Ardennes. En 1233 la ville est entourée d’un rempart. Au XVIe siècle, les rois de France, bien conscients de l’importance de Mézières aux frontières de leur royaume, font moderniser les fortifications médiévales devenues obsolètes suite au développement de l'artillerie. Mézières se transforme alors en une vraie place-forte avec un système de bastions adaptés aux canons de l’époque. Pendant les guerres de religion, Mézières est le quartier général du parti catholique, face à Sedan la protestante.
Plan de Mézières daté de 1766 (Gallica, BNF)
Mais Mézières est aussi une cité commerçante. La Meuse y est navigable et la ville se trouve à la jonction du Saint Empire Germanique et du Royaume de France. Le port fluvial de Mézières connaît son apogée aux XVe et XVIe siècles. Du royaume de France y parviennent les vins, les céréales et de l’Europe du Nord arrivent les harengs et les morues salées. Au XVIe siècle quelques habitants de Liège s’installent à Mézières pour y travailler l’étain et le cuivre. A la fin du Moyen-Age la ville compte environ 6 000 habitants. Pourtant Mézières ne va pas tarder pas à décliner. D’une part sa situation de place-forte, avec les contraintes que cela induit, gêne considérablement son développement économique et commercial. D’autre part, elle doit faire face au début du XVIIe siècle à une rivale, Charleville.
Au point de départ de Charleville, on trouve la minuscule principauté indépendante d’Arches. Bien située dans une boucle de la Meuse, celle-ci échoit par héritage, au début du XVIIe siècle, à Charles de Gonzague. Ce dernier appartient, par son père Louis, à la dynastie italienne des ducs de Mantoue mais c’est de sa mère, Henriette de Clèves, duchesse de Nevers et comtesse de Rethel, qu’il hérite de la principauté d’Arches. En mai 1606, Charles de Gonzague fonde sa ville nouvelle et deux ans plus tard il lui donne son nom, « la ville de Charles ». L’édification de la ville va s’étendre jusqu’en 1634.
Partis en quelque sorte d’une page blanche, les concepteurs de Charleville reprennent le plan en damier des villes romaines, avec quatre rues principales aboutissant à une place centrale, la Place Ducale. Cette dernière forme un vaste rectangle de 126 mètres de long sur 90 mètres de large et a été conçue selon toute probabilité par l’architecte Clément Métezeau dont le frère Louis vient de commencer à Paris l’édification de ce qui est aujourd’hui la Place des Vosges, ce qui explique les ressemblances entre les deux places. La Place Ducale est entourée d'un alignement de pavillons respectant eux aussi la règle de quatre : quatre travées, quatre fenêtres à chacun des deux étages et enfin quatre lucarnes à l’étage des combles. C’est cette disposition architecturale qui donne à l'ensemble son unité. Son charme vient aussi des couleurs des matériaux employés, tous d’origine locale : l’ocre des pierres de taille de Dom-le-Mesnil, le rouge des briques cuites sur place et le bleu des ardoises de Fumay ou de Rimogne.
La construction des pavillons débute en 1612 mais en 1625, Charles de Gonzague fait changer les plans de la face ouest pour y intégrer son propre palais dont les travaux commencent la même année. Mais ce palais ne verra jamais le jour puisque, en 1627, Charles de Gonzague, son frère étant décédé, devient duc de Mantoue et ne reviendra jamais à Charleville. Faute d’argent les travaux sont arrêtés. Or, si à cette date les pavillons sont pour la plupart construits, le palais ducal n’est encore qu’une façade vide derrière laquelle il n’y a rien. Cette situation dure un siècle avant que quelques travaux reprennent mais ils sont assez vite arrêtés. Sous la Révolution, on détruit même une partie du peu qui avait été édifié, en particulier l’arche monumentale du palais qui surplombait la rue et qui comportait les armoiries ducales. Il faut finalement attendre 1843 pour que cette partie de la place soit réaménagée avec la construction de l’Hôtel de Ville.
En 1626, on avait installé au centre de la Place Ducale une fontaine de marbre noir et de jaspe qui est remplacée à la toute fin du XIXe siècle par une statue de Charles de Gonzague. Il y a une vingtaine d’années cette statue a été déplacée pour laisser place à une fontaine s’inspirant de celle de 1626. Cependant, si la beauté et l’harmonie sont remarquables,les moyens financiers limités du duc de Gonzague ont fait que les logements situés derrière les façades ont été un peu construits à l’économie.
"Charleville sur le bord de la Meuze dans la Principauté souveraine Darches", gravure éditée en 1700 (Gallica, BNF)
Les premiers habitants de Charleville viennent de la voisine Mézières qui se vide alors d'une partie de sa population. Charles de Gonzague cherche aussi à attirer des habitants d’autres régions à qui il promet de nombreux privilèges et une immunité juridique pour ceux qui seraient en délicatesse avec la justice. Située en dehors du royaume de France et échappant du coup à ses contraintes fiscales, la nouvelle venue surpasse très vite Mézières en population et en richesse. Charleville atteint déjà 4 000 habitants à la fin du XVIIe siècle et son port remplace celui de Mézières pour le commerce sur la Meuse. La ville se dote aussi d’une industrie métallurgique avec, en particulier, une manufacture d’armes qui fonctionne de 1667 à 1836. Enfin, elle abrite des productions variées, dentelles, tapisseries, verreries.
Cependant, Charleville est l’objet de la méfiance des rois de France qui tiennent la place-forte voisine de Mézières. Louis XIV fait détruire les remparts de Charleville à la fin du XVIIe siècle. En 1709, à la mort de Ferdinand de Gonzague, dernier descendant de Charles, la ville échoit à la famille de Condé et elle est officiellement rattachée au royaume de France. Au début de la Révolution, Charleville avec plus de 8 000 habitants dépasse largement Mézières qui n'en compte que 3 000. Pourtant, en 1790, c’est Mézières qui est choisie comme chef-lieu du nouveau département des Ardennes et non Charleville.
A partir du milieu du XIXe siècle, Charleville comme Mézières bénéficient de la révolution industrielle. De grandes entreprises s’y installent. A Charleville, c’est par exemple la fonderie Corneau, créée en 1846, devenue la firme Deville par la suite et qui est spécialisée dans les instruments de chauffage. A Mézières, l’établissement le plus important est la Macérienne, fondée en 1894, qui produit des pièces pour les cycles et les automobiles Clément Bayard. Dans ce contexte de développement Charleville conserve son avance sur Mézières même si cette dernière voit ses fortifications qui gênaient son développement être démantelées entre 1884 et 1890. Les populations augmentent fortement : Charleville passe de 9 000 habitants en 1850 à 22 000 en 1911 alors qu’entre les mêmes dates Mézières passe, elle, de 5 200 à 10 400 habitants.
Lors de la guerre de 1870-1871 Mézières est touchée par des bombardements allemands qui font de nombreuses victimes. Les deux villes sont occupées jusqu’en juillet 1873. Le 29 août 1914 les Allemands entrent à nouveau à Charleville et à Mézières qu’ils évacuent seulement à la veille de l’armistice du 11 novembre 1918. Mézières a été victime de plusieurs bombardements français qui ont détruit l’hôtel de ville et l’hôpital. Ils seront reconstruits après-guerre. Le nouvel hôtel de ville de Mézières est inauguré par le président de la République Albert Lebrun en 1931 et le nouvel hôpital prend le nom de Manchester en hommage à la ville anglaise qui a financé une partie de sa construction. Le 12 août 1940, les Allemands entrent encore une fois dans les deux villes qui ont été évacuées de leur population civile. Commencent alors quatre longues années sous la botte allemande, jusqu’à la Libération le 4 septembre 1944.
Après-guerre on reprend l’idée de mettre fin à la rivalité entre Charleville et Mézières en fusionnant les deux communes. Cette fusion avait déjà été proposée à plusieurs reprises mais s’était toujours heurtée au refus de Charleville qui craignait d’affaiblir sa position dominante. Mais, cette fois, le contexte de croissance des Trente Glorieuses change la donne. Le développement économique rend la fusion plus facile. En outre, les deux villes sont dirigées par des municipalités socialistes ce qui facilite les choses. Finalement le 1er octobre 1966 six communes fusionnent : Charleville, Mézières, Mohon, Montcy-Saint Pierre, Etion et Le Theu. La nouvelle commune, Charleville-Mézières, dépasse alors les 50 000 habitants. La croissance urbaine se poursuit jusqu’au milieu des années 1970 avec 60 000 habitants en 1975. Mais les difficultés économiques touchent fortement la cité à partir de la fin des années 1970. La population de la ville descend à 57 000 habitants en 1990 et à seulement 48 000 aujourd’hui.
signature le 1er octobre 1966 de la fusion la fusion entre Charleville, Mézières, Le Theux, Étion, Mohon et Montcy-Saint-Pierre pour donner la commune de Charleville-Mézières.
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