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Le protestantisme à Reims

 


Dans le premier tiers du XVIe siècle le protestantisme semble déjà avoir pénétré à Reims puisque quelques groupes de réformés  parcourent les rues en chantant des psaumes. Mais, dans la ville des sacres où le clergé catholique est très puissant, le nombre de protestants est bien faible, 3 à 400 au grand maximum. En outre, l’arrivée en 1538, comme archevêque, du cardinal de Lorraine (cf. l'article du blog qui lui est consacré), un des champions de la Contre-Réforme catholique, va réduire à néant le développement du protestantisme à Reims. Les protestants rémois sont chassés, en particulier l'influent Pierre Craon, dit "Nez d'argent" à cause d'une plaque de ce métal qu'il portait suite à un accident. 

 

Voulez vous ouyr chanson
La plus belle de France,
C'est du nez d'argent
Qui est mort sans doutance:
A la voyrie fut son corps estendu
Or est le nez d'argent pendu.
On a veu nez d'argent
Avecques ses complices
Estans dedans Paris
Soustenans l'evangile
Des huguenots qui l'ont mal entendu,
Or est le nez d'argent pendu.
Mais les gens vont disant,
C'est du bien de l'Eglise,
Mieux eust vallu pour luy qu'il l'eust rendu,
Car il en a esté pendu.
Aux halles de Paris
On en fit la justice,
Puis les petits enfans
En feirent le service,
Bien tost en bas l'on descendu
Apres qu'il eut esté pendu.
Quand ils l'eurent jetté
Du haut de la potence,
Tous ces petits enfans
Se sont remis ensemble,
A la voirie l'ont trainé,
L'avoit il pas bien merité?
Ils ont prins leur chemin
Par la ferronnerie,
Lié et garrotté
Menans joyeuse vie,
Crians, chantans joyeusement
Voicy venir le nez d'argent.
Quand ils l'eurent trainé
Dedans son cymetiere,
Par dedans le ruisseau
Qui luy servoit de biere,
Lors ses tripailles vont tirer
Pour dedans un feu les jetter
Quand ils l'eurent trainé
Ou estoit son sepulchre,
Bien tost luy ont osté
Les tripes & la fressure,
Puis de son coeur un chien l'a avallé,
Voila allé, voila allé.
Puis de son compagnon
Ne voulons nous rien dire,
Il a tousjours esté
Huguenot pour la vie,
Qu'en fut il faict, il a esté bruslé,
Comme il avoit bien merité.
Le lendemain matin
Qui estoit le Dimanche,
Quatre petits garçons
Se sont remis ensemble,
Qui la moitié de son corps ont trainé
A la voyrie avec le nez.
Qui fit ceste chanson
Voulez que je le die,
Un gentil compagnon
Enfant de ceste ville,
Qui veit le nez d'argent trainé
Par la rue sainct Honoré.
 

  Pierre  Craon connaît un destin tragique. Impliqué dans le "tumulte" de l'église Saint-Médard à Paris en décembre 1561 (une grave rixe entre catholiques et protestants), il est pendu le 2 mai 1562 et des enfants vont trainer son cadavre dans les rues. L'épisode, caractéristique de la grande violence des guerres de Religion, a fait l'objet de la Chanson du Nez  d'argent (Recueil des chansons des batailles & guerres advenues au Royaume de France, durant les troubles, imprimé à  Paris par Nicolas Bonfons, rue neuve nostre Dame, 1575).

 

Ainsi, au moment de la Saint-Barthélemy, en 1572, il ne reste quasiment plus de protestants à Reims ce qui explique que l’évènement n’y fasse que deux victimes. Cette situation va perdurer tout au long de l’Ancien Régime et, à la veille de la Révolution, Reims ne compte que quatre familles protestantes répértoriées soit une dizaine de personnes.

La réapparition d'une communauté réformée à Reims a lieu dans les années 1830, notamment autour de négociants d'origine allemande ou alsacienne dont la famille Heidsiek en est un bon exemple. 

 


 Né en 1749 en Westphalie dans une famille de pasteurs luthériens, Florens-Louis Heidsieck arrive à Reims en 1777. Après avoir épousé la fille d'un négociant rémois en laines et en vins, il fonde sa maison de champagne en 1785. A sa mort sans enfants en 1829, la maison est reprise par ses neveux qu'il avait fait venir à Reims, Christian Heidsieck (1793-1833) et Henri-Louis Walbaum (1780-1869). Mais ces derniers ne tardent pas à monter chacun leur propre affaire. Tableau du peintre Péguchet, 1814 (Musées de Reims).

 


 

 

A cet exemple on peut aussi ajouter ceux du strasbourgeois Louis Roederer  (1809-1870) 

 

 

 


 

 

ou du Mayençais Johann-Joseph Krug (1800-1866).


 

 

 

 

 

En 1833, la municipalité de Reims autorise le retour du culte public luthérien mais c’est le 30 avril 1836 que, par ordonnance royale, est instituée l'Église réformée de Reims, rattachée d'abord au Consistoire de Meaux, puis en 1851 à celui de Sedan. 

Cette Église va connaître plusieurs lieux de culte successifs. De 1831 à 1841 elle bénéficie d’un petit local provisoire, 2 rue du Tambour, que la Ville met à sa disposition. De 1841 à 1867 le temple est transféré au 34 rue de la Peirière (au niveau de l’actuel Cours Anatole France) dans un local appartenant aux Hospices. Enfin, la communauté réformée s’accroissant en nombre avec le développement de Reims dû à la Révolution industrielle va bénéficier d’un temple beaucoup plus grand au 3 boulevard du Temple (actuel Boulevard Lundy). 

 

 

Il s’agit d'une ancienne école d'équitation que l'architecte municipal Narcisse Brunette transforme en temple, lequel est inauguré le 15 décembre 1867 (coll.part).

 

Mais au sortir du premier conflit mondial le bâtiment n’est plus qu’un tas de ruines.

 




 Le temple protestant de Reims en 1916,  autochrome réalisé par la Section photographique de l'armée (source ECPAD).

 

 

 

 

 

 

état  en 1919 (coll.part)

 

 

 

 

On décide alors de construire au même endroit un nouveau temple. 

 

 

 

 

 

 Le temple protestant de Reims en 1923 et aujourd'hui (coll.part).


 

 

 

Oeuvre de l'architecte Charles Letrosne (1868-1938), l'édifice réunit des inspirations néogothiques et la modernité avec une structure et une nef en béton armé.

 
La première pierre en est posée le 23 octobre 1921 et la dédicace du temple a lieu le 2 juin 1923. Les dommages de guerre n’ayant pas suffi à financer la totalité des travaux, des dons venus d’autres églises protestantes de France mais aussi du Royaume-Uni, des pays nordiques ou des États-Unis, vont permettre de mener à bien la réalisation de l'édifice.






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