Double Phaéton de la Société de construction automobile de
Reims (coll.part).
Les débuts de l’automobile sont largement une affaire française. En 1903, la France arrive au premier rang mondial avec presque la moitié des 60 000 voitures construites cette année là dans le monde. En 1914, elle est encore au deuxième rang, derrière les États-Unis. A cette époque, le nombre de constructeurs est très élevé, plus d’une centaine en 1913, car il suffit d’un terrain, de connaissances en mécanique et de quelques capitaux pour lancer une entreprise automobile. Mais beaucoup de ces entreprises disparaissent rapidement, en même temps que certaines marques, au contraire, se développent. En 1913, sur les 45 000 voitures produites en France, la moitié provient de cinq constructeurs, Peugeot, Renault, Berliet, Panhard et de Dion-Bouton. C’est une industrie assez dispersée sur le territoire national même si la région parisienne l’emporte nettement. La construction se fait encore de manière artisanale avec un petit nombre d’ouvriers qui ne construisent que les châssis et les moteurs, la carrosserie étant réalisée selon les désirs du client par des artisans spécialisés. Une automobile est alors une pièce unique qui nécessite plusieurs mois pour être fabriquée et son coût la réserve à une minorité fortunée.
Dans ce contexte Reims devient un foyer, secondaire il est vrai, de l’industrie automobile française puisque deux marques d’importance nationale y installent des usines : Panhard et Levassor en 1905, au 83 de la rue Ernest Renan, et Brasier l'année suivante, au 2 de la rue de Sillery.
Stand Panhard-Levassor au Salon de l’automobile de 1910 qui se tient au Grand Palais (Gallica- BNF).
En 1891, René Panhard et Émile Levassor fondent leur entreprise automobile. Installée avenue d’Ivry, dans le 13e arrondissement de Paris, elle peut être considérée comme la plus ancienne au monde. Jusqu’en 1907, Panhard est le premier constructeur français avant d’être dépassé par Peugeot, Renault et Berliet. La firme est plutôt spécialisée dans les véhicules de luxe. Dans l’entre-deux- guerres elle continue à produire des véhicules de haut de gamme mais, du fait d’une gestion trop frileuse, son rang dans la production française ne cesse de reculer. Après 1945, la firme tente de se lancer dans la petite voiture populaire mais c’est un semi-échec. En difficultés financières, elle passe en 1955 un accord avec Citroën qui l’absorbe définitivement en 1965 et qui décide deux ans plus tard d’arrêter la production des véhicules civils Panhard, les véhicules militaires continuant, eux, d’être produits.
Louis Renault (à gauche) et Charles-Henri Brasier (à droite) en 1908 (Gallica-BNF).
En 1903, Georges Richard et Charles-Henri Brasier créent l’entreprise automobile Richard-Brasier qui s’installe rue Galilée à Ivry, près de Paris. Mais en 1905, Charles-Henri Brasier évince Georges Richard, la marque ne conservant alors que le nom de Brasier. Charles-Henri Brasier, qui s’intéresse surtout aux voitures de compétition, néglige la production courante et son entreprise décline. La guerre, lui offre un répit car Brasier bénéficie des commandes de l’armée pour produire des camions et, surtout, des obus. Mais au lendemain du conflit ces commandes cessent. Brasier tente de reprendre la production automobile mais ses voitures se vendent mal, ce qui entraîne, en 1924, la mise en liquidation judiciaire de sa société.
Le choix de Reims s’explique par les opportunités qu’offre la ville. Géographiquement bien placée, à mi- chemin de la région parisienne et des centres métallurgiques ardennais, elle possède un réseau complet de voies de communication, route, chemin de fer et canal. Les difficultés de son industrie textile font aussi que des terrains et des bâtiments peuvent y être trouvés à faible prix. Panhard rachète ainsi ceux de la filature des frères Marteau et Brasier ceux de la manufacture de textiles Gabreau. Enfin, le dernier atout est lié à la place qu’occupent leurs implantations rémoises pour Panhard et Brasier. Elles sont destinées à n’être que des annexes qui fabriquent des pièces détachées, montées ensuite dans les usines de Paris. Or Reims dispose pour réaliser ces tâches peu qualifiées, d’une main d’œuvre peu coûteuse et rendue disponible par la crise du textile.
La taille de l’entreprise Panhard l’emporte largement sur celle de Brasier. A sa création, l’usine Panhard compte 504 ouvriers, dont 82 femmes et, par la suite, les effectifs montent jusqu’à 3 500 personnes. Les ateliers de tournage, de perçage, de fraisage emploient les hommes tandis que celui de petite mécanique emploie les femmes. Les salaires horaires à l’usine de Reims, 0,42 franc pour un manœuvre, 0,70 franc pour un chef d’équipe, et cela pour une journée de travail de 10-11 heures, sont en moyenne de 30 % inférieurs à ceux de l’usine principale de Paris. Cette main d’œuvre effectue des tâches répétitives, ce qui explique qu’en 1908 l’annexe rémoise de Panhard est « rationalisée », première application dans l’entreprise du taylorisme, alors que l’usine principale de Paris ne l’est pas.
Tout près de Reims, une autre firme, beaucoup plus petite et moins connue, tente, elle, une installation complète. En 1905, deux ingénieurs parisiens, Albert Rayet et Emile Liénart, décident de se lancer dans la conception et la fabrication de leurs propres automobiles. Ils créent la Société de construction automobile de Reims, la SCAR, dont le siège social est à Reims, 7 rue de l’Ecole de Médecine. Ils acquièrent, pour construire leurs véhicules, une ancienne cidrerie à Witry-les-Reims. Le lieu est idéal car l’usine est desservie par le chemin de fer et pas très éloignée des forges ardennaises qui fournissent les pièces de fonderie. A la veille de la Première Guerre mondiale, la SCAR construit entièrement (châssis, moteur, carrosserie, peinture) 22 véhicules par mois et emploie 150 ouvriers. Les voitures qu’elle sort, robustes et bien construites, connaissent un succès d’estime. Les essais se déroulent dans le village même de Witry-les-Reims et sur la route de Reims à Rethel, au grand mécontentement de beaucoup d’habitants.
L'usine
de la
Scar à
Witry-les-Reims avant
la Première
Guerre mondiale (Archives départementales de la Marne).
Publicité illustrée parue dans L’écho sportif du 16 septembre 1908 (Bibliothèque municipale de Reims).
La Première Guerre mondiale stoppe net la production automobile rémoise. Les bâtiments de l’usine Panhard sont touchés par les bombardements allemands dès le mois de septembre 1914. Cependant, les machines peuvent tout de même être repliées sur l’usine de Paris. L’usine Brasier est aussi détruite en grande partie. Quant à l’usine de la SCAR, qui se trouve dans la zone occupée par les Allemands (elle sert quelque temps de siège à l’État-major du Konprinz), elle sort du conflit totalement dévastée.
Les usines Panhard détruites.
L'usine de la SCAR détruite (coll.part).
Après sa reconstruction au début des années 1920, l'usine Panhard reprend son fonctionnement.
L’usine Panhard en cours de reconstruction (coll.part.)
Jusqu’en 1965, la production continue à se faire sous la marque Panhard. L’usine emploie alors plus de 800 ouvriers. Mais en 1965, Panhard ayant été absorbé par Citroën, l’usine rémoise passe sous l’emblème du double chevron puis de PSA en 1976, quand Peugeot rachète Citroën. L’intégration dans le nouveau groupe entraîne l’extension de l’atelier de fabrication et la construction d'un bâtiment d'usinage. L’usine de Reims compte alors jusqu’à 1 300 personnes. Mais, en 1992, victime de la réorganisation interne du groupe PSA, elle ferme ses portes, après 87 ans de présence à Reims.
L’usine Brasier est, elle aussi reconstruite mais la firme qui n’a pas su s’adapter aux nouvelles conditions économiques cesse bientôt toute activité et les bâtiments deviennent une carrosserie jusqu’en 1939, date où les bâtiments sont rachetés par l’État. Ils servent d’abord de caserne puis abritent le CREPS (formation des professeurs d’éducation physique et sportive) de Reims entre 1941 et 1981.
Quant à la SCAR, dont les bâtiments sont reconstruits, elle échoue à redémarrer une production d’automobiles. Elle se contente désormais d'effectuer des réparations de véhicules automobiles.
L’usine de la SCAR reconstruite, photos prises le 22 mai 1923 (Archives municipales et communautaires de Reims).
Cependant, cette nouvelle activité est éphémère. En 1926, la SCAR est dissoute et, en 1928, ses bâtiments sont rachetés par la société Marelli qui va y fabriquer, pendant 50 ans, des moteurs électriques et des pompes à eau.
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