Accéder au contenu principal

Les révoltes paysannes au Moyen-Age

 



La condition paysanne au Moyen-Age est bien peu enviable. Les élites, notamment la noblesse, méprise les paysans, les "vilains" comme on les nomme à l’époque. La description d'un de ces "vilains" que nous livre Chrétien de Troyes vers 1180 est symptomatique de ce mépris à l’égard de la classe paysanne :


"Un vilain qui ressemblait à un Maure, laid et hideux à démesure, si laide créature qu’on ne saurait le dire en paroles, était assis sur une souche. Je m’approchai de lui et je vis qu’il avait la tête plus grosse que celle d’un cheval de trait, ou de toute autre bête, des cheveux en broussaille, les oreilles velues et les sourcils énormes, des dents de sanglier, aiguës et rousses". 

 

 
 
Paysan partant au travail, enluminure allemande du XVe siècle. On le voit portant sur l'épaule ses outils et un sac qui doit contenir ses semences. Il tient à la main gauche un pot de terre, probablement destiné à contenir de l'eau. Son costume, de couleur brune, est fait d'un textile qui doit être du chanvre dont la culture est très répandue à l'époque (Gallica-BNF). 


Ces révoltes ont quasiment toujours les mêmes causes : trop d’impôts, trop de guerres, trop de misère. Quand la météo s’en mêle et que les récoltes sont mauvaises, les famines poussent les paysans aux révoltes violentes. Les premières sont signalées en Normandie en 996 et en 1095. Suivent des soulèvements dans la région de Laon en 1175, en Picardie en 1251. En 1320, des soulèvements de paysans touchent aussi bien la Normandie que le Limousin ou le Périgord.

Cependant, la révolte la plus fameuse est celle du printemps 1358. Le contexte est alors dramatique : grande peste noire,  guerre de Cent ans, crise économique. La révolte débute le 28 mai dans le Beauvaisis, plus précisément à Saint-Leu d’Esserent dans la vallée de l’Oise. Quatre chevaliers et cinq écuyers sont alors massacrés. 

 

 

Paysans révoltés massacrant un chevalier, miniature extraite des Chroniques de Jean Froissart (Gallica-BNF).

Le soulèvement possède un meneur Guillaume Calle (ou Carle), un laboureur (paysan aisé) du village de Mello dans l'Oise et ancien soldat. Guillaume Calle est souvent est souvent désigné dans les chroniques sous le nom de "Jacques Bonhomme". Jacques renvoie à un prénom fréquent dans le monde rural mais aussi à la "jacque" qui est une veste de travail paysanne. Quant au terme Bonhomme, c’est un sobriquet qui désigne un homme du peuple un peu benêt. 

La révolte, outre le Beauvaisis, touche aussi les campagnes de l’île de France, et s'étend jusqu'à une partie de la Champagne. Armées de cognées, de faux, de fourches, de haches ou de fléaux, des bandes de milliers de Jacques pillent et brûlent les demeures des seigneurs dont un certain nombre est massacré, ce qui cause l’effroi dans la noblesse. La vengeance de cette dernière est à la mesure de la peur qu’elle a eue. Charles II de Navarre (Charles le Mauvais), prétendant au trône de France, prend la tête d’une coalition de seigneurs qui, le 10 juin 1358, écrase les rebelles à Mello. 

 

 


Les sources varient sur le sort de Guillaume Callé. Certaines le disent tué dans la bataille, d’autres affirment qu’il a été capturé par ruse, coiffé par dérision d'un trépied de fer rougi au feu en guise de couronne puis décapité, miniature extraite des Chroniques de Jean Froissart (Gallica-BNF).

 

Dans les semaines qui suivent, les nobles brûlent quantité de villages et massacrent sans jugement des millier de paysans, comme le rapportent les chroniqueurs de l'époque qui parlent d'arbres craquant sous le poids des pendus.

La révolte a été courte, environ deux semaines, mais elle a cependant marqué l’histoire comme le montre l’emploi généralisé par la suite du terme de jacquerie pour désigner toute révolte paysanne. L’évènement frappe par son extrême violence même si les chroniqueurs, le plus souvent favorables à la noblesse, en rajoutent sur les atrocités commises par les Jacques. 

Cependant les causes de cette Grande Jacquerie sont plus complexes qu’ont pourrait le penser de prime abord. En effet, si la misère paysanne est un moteur essentiel, elle ne doit pas occulter un arrière-fond politique. La jacquerie de 1358 met en cause la légitimité de la noblesse qui, en pleine guerre de Cent ans, n’assure plus sa fonction de protection du royaume et de ses habitants sa population. Les nobles ont failli contre les Anglais puisqu’ils ont été écrasés à Crécy en 1346 et, plus récemment, en septembre 1356 à Poitiers où le roi Jean le Bon est même fait prisonnier. En outre, ils ne font rien pour protéger les populations rurales contre les cohortes de soudards qui terrorisent alors les villages. Il faut aussi noter que les paysans révoltés ne sont pas tous des miséreux, à commencer par Guillaume Callé lui-même. Enfin, et c'est souvent oublié, des artisans, des commerçants et même des clercs ont soutenu les révoltés dans quelques villes comme Senlis, Beauvais ou Creil.

 


Guillaume Callé a aussi tenté de faire cause commune avec les habitants de Paris, alors révoltés contre le pouvoir royal sous la direction d’Étienne Marcel. Le 9 juin 1358 les Jacques et des partisans d'Etienne Marcel réussissent à pénétrer dans la ville de Meaux  mais ils sont massacrés par les soldats de Charles le Mauvais, miniature extraite des Chroniques de Jean Froissart (Gallica-BNF).

 

Le régent Charles, le futur Charles V, semble d’ailleurs avoir pris conscience  de cette complexité puisque, après avoir laissé la noblesse se venger, il  reprend la main, dans l’été 1358. Par de nombreuses lettres de rémission, il accorde  son pardon aux insurgés, marquant ainsi sa volonté d’un retour à l’ordre et à la paix civile.





Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

La draperie sedanaise

Une activité textile fondée sur la laine cardée existe déjà à Sedan au XVIe siècle mais son importance est bien médiocre. il faut attendre le rattachement de la principauté au royaume de France en 1642 pour que débute véritablement l’industrie textile sedanaise, toujours spécialisée dans la laine cardée. En juin 1646, un arrêt du Conseil d’État accorde à un marchand parisien, Nicolas Cadeau, le privilège de fabriquer " certains draps noirs et de toute autre couleur, façon à la manière de Hollande ". Il s’agit de draps de luxe, en laine fine, très prisés à la cour du roi, dans le clergé et la magistrature, et que la France achetait jusque-là aux Pays-Bas ou en Espagne. Il faut dire qu’à l’époque domine la théorie mercantiliste, dont le plus célèbre représentant en France est le rémois Jean-Baptiste Colbert, qui estime que, la puissance d’un État se mesurant à sa richesse monétaire, il faut éviter le plus possible d’importer des produits étrangers comme l’explique alors ...

Les pèlerinages dans le diocèse de Reims à la fin de l'Ancien régime

    Le diocèse de Reims depuis le 14e siècle, avec les plans de Reims, Rethel, Sedan, Mézières et Charleville au 18e siècle. Tous les établissements religieux existant à la veille de la Révolution sont mentionnés. Carte établie et publiée en 1957 par Lucie Fossier et Odile Grandmottet (numérisée en 2021 par la Bibliothèque historique de la Ville de Paris et visible pour l'agrandir sur Gallica-BNF). Portrait de Charles-Antoine de la Roche-Aymon (1697-1777), école du peintre suédois Alexandre Roslin (Musée de San-Francisco).   En 1774, le cardinal de la Roche-Aymon, archevêque de Reims, envoie à chaque curé de son diocèse un long questionnaire imprimé portant sur la situation de sa paroisse. Cette initiative est d'ailleurs exceptionnelle au XVIIIe siècle puisque, outre Reims, deux diocèses seulement ont fait de même, Rodez en 1771 et Bordeaux en 1772. En outre, c'est l'enquête de Reims qui est la plus détaillée et la plus riche en questions. Or, parm...

Le protestantisme à Reims

  Dans le premier tiers du XVIe siècle le protestantisme semble déjà avoir pénétré à Reims puisque quelques groupes de réformés  parcourent les rues en chantant des psaumes. Mais, dans la ville des sacres où le clergé catholique est très puissant, le nombre de protestants est bien faible, 3 à 400 au grand maximum. En outre, l’arrivée en 1538, comme archevêque, du cardinal de Lorraine (cf. l'article du blog qui lui est consacré) , un des champions de la Contre-Réforme catholique, va réduire à néant le développement du protestantisme à Reims. Les protestants rémois sont chassés, en particulier l'influent Pierre Craon, dit "Nez d'argent" à cause d'une plaque de ce métal qu'il portait suite à un accident.    Voulez vous ouyr chanson La plus belle de France, C'est du nez d'argent Qui est mort sans doutance: A la voyrie fut son corps estendu Or est le nez d'argent pendu. On a veu nez d'argent Avecques ses complices Estans dedans Pa...

Les métamorphoses de la Champagne crayeuse

      La champagne crayeuse (en vert sur la carte) est un vaste plateau peu élevé qui, de Reims à Troyes, forme un arc arc-de-cercle s’étendant sur 175 kilomètres du nord au sud et sur une soixantaine de kilomètres d’ouest en est. A cheval sur les trois départements des Ardennes, de la Marne et de l'Aube, elle se présente comme une plaine largement ondulée et coupée par des vallées, dont l'altitude varie entre 100 et 250 mètres. Comme une grande partie du Bassin Parisien auquel elle appartient elle est constitué de craie mais ici, à la différence de la Brie voisine, elle n’est pas recouverte de loess fertile. En Champagne la craie affleure à la surface avec, au mieux, une épaisseur de terre de 30 à 40 centimètres. Pendant des siècles cette Champagne crayeuse, sans passer pour une région très riche, n’est pas considérée comme un pays misérable. A l’époque gallo-romaine les auteurs latins évoquent les riches moisons de la région des Rèmes et l’abondance de...

La contrebande dans les Ardennes sous l’Ancien Régime.

    Cette contrebande concerne essentiellement le tabac et le sel, deux produits dont l’État royal possède le monopole de la vente et sur lesquels il lève une taxe. Celle-ci n’est d'ailleurs pas perçue par une administration au sens moderne du terme mais par ce que l’on appelle la Ferme Générale qui est une association de financiers privés qui ont acheté au roi le droit de prélever la taxe en lui assurant une certaine somme prévue à l'avance et en gardant le reste pour eux. Les taxés paient donc non seulement ce qui est reversé au roi mais aussi ce que la Ferme juge bon de recevoir comme profit personnel. Dans ces conditions on comprend que la tentation est grande d’y échapper, ce qui alimente une importante contrebande.   En ce qui concerne le tabac, les contrebandiers ardennais s’approvisionnent à l’étranger, en particulier dans le pays de Liège, mais aussi dans le Hainaut français qui bénéficie d’une taxe sur le tabac moins élevée. Le trafic semble considé...

Le Vieux Moulin de Charleville

    Le Vieux Moulin de Charleville en 1886 par Albert Capaul (Archives Départementales des Ardennes). En 1606, Charles de Gonzague décide de fonder une cité nouvelle, Charleville, dont, deux ans plus tard, il fait la capitale de sa principauté d’Arches (cf. l’article de mon Blog sur l’histoire de Charleville). La population de la ville s’accroissant, les besoins en farine augmentent. Or il existe seulement trois petits moulins qui appartiennent à des particuliers et dont deux sont situés en dehors de la ville. Aussi, Charles de Gonzague exige-t-il que soit construit un grand moulin banal où tous les habitants de Charleville auront l’obligation de faire moudre leurs grains en payant une redevance au prince. Sa construction commence e n avril 162 6 et il est mis en service dès l'année suivante.     "Charleville, sur le bord de la Meuze dans la principauté souveraine Darches", plan de 1700 (Gallica-BNF).  Le moulin s’intèg...

1523 : création du bailliage de Reims

      La rue de la prison du Bailliage, située tout près de l'Hôtel de Ville, rappelle encore aujourd'hui l'ancien bailliage de Reims.   Un bailliage est une circonscription administrative née au XIIIe siècle avec à sa tête un bailli qui représente le pouvoir royal. Au départ, le bailli possède des pouvoirs très étendus, à la fois militaires, fiscaux et judiciaires mais, progressivement, il ne va conserver que son rôle de représentant de la justice royale.  Le bailli juge à la fois au criminel et au civil. Il est aussi juge d’appel, c’est à dire qu’il a le droit de réviser les sentences déjà prononcées. Il a aussi la main sur toutes les affaires où l'intérêt du roi est en question. Mais son pouvoir judiciaire connaît tout de même des limites car il doit tenir compte de la présence des nombreuses justices seigneuriales qu’il doit théoriquement respecter. Ainsi, à Reims, l’autorité, ce que l’on appelle à l’époque le droit de ban, appartient à des seign...

Un Conventionnel rémois, Jean-Baptiste Armonville

    Jean-Baptiste Armonville naît à Reims, le 18 novembre 1756, dans une famille pauvre. Son père, après avoir été soldat sous le surnom de Saint-Amour, est devenu ouvrier sergier. Orphelin de mère à quatorze ans, Jean-Baptiste Armonville perd aussi, peu de temps après, son père. Il est alors recueilli par deux oncles et devient cardeur en laines. Malgré la dureté de sa condition il parvient à apprendre à lire et à écrire même si c'est de manière assez limitée. Il a aussi la charge de ses cinq enfants qu’il doit même abandonner provisoirement à l’Hôtel-Dieu de Reims, après le décès de sa femme. En 1789, Jean-Baptiste Armonville adopte immédiatement les idées révolutionnaires et anime les réunions populaires qui ont lieu à l’ancien couvent des Minimes, en plein quartier Saint-Remi qui est celui de l’industrie lainière rémoise. Son influence sur les ouvriers de la laine apparaît en pleine lumière dans l’été 1792 quand la guerre menace la frontière de l’Est. Le 4 juillet 1...

Deux archevêques de Reims aux XVIIe et XVIIIe siècles, Charles-Maurice Le Tellier (1642-1710) et Alexandre-Angélique de Talleyrand-Périgord (1736-1821)

    Charles-Maurice Le Tellier peint par Pierre Mignard, 1691 (Musées de Reims). Charles-Maurice Le Tellier naît en 1642 à Turin, son père, Michel Le Tellier, étant à cette époque intendant des troupes françaises stationnées dans le Piémont italien. Par la suite, Michel Le Tellier sera ministre de la guerre de Louis XIV. De ses deux fils, l’aîné, Louvois, lui succédera au même poste. Le second, Charles-Maurice, est quant à lui destiné à l’Eglise. Ordonné prêtre en 1666, il devient deux ans plus tard coadjuteur de l’archevêque de Reims, l’italien Antonio Barberini qui, résidant à Rome, n’était quasiment jamais venu dans son diocèse. En 1671, à la mort du cardinal Barberini, Le Tellier lui succède officiellement. Fils et frère de ministres, Charles-Maurice Le Tellier vit une partie importante du temps à la cour de Louis XIV dont il a la faveur. L’archevêque est un homme intelligent, habile, mais aussi un mondain, avide de plaisirs et d’honneurs. ...

L'école au Moyen-Age

Des écoles existent déjà dans l’Antiquité mais elles s’effondrent en même temps que l’Empire romain. L’Église  prend alors le relais en demandant aux évêques d’ouvrir dans chaque diocèse une école épiscopale rattachée à la cathédrale. Destinées avant tout à former de futurs clercs ces écoles accordent une grande place à l’enseignement de la religion et donnent  leur enseignement en latin, langue de l’Église. Cela dit, ces écoles conservent tout de même le Trivium et le Quadrivium, hérités de l'Antiquité. Le Trivium regroupant les branches "littéraires", Grammaire, Rhétorique et Dialectique, correspond un peu à notre lycée. Le Quadrivium regroupant les branches "scientifiques", Mathématiques, Arithmétique, Géométrie et Musique, constitue une sorte d’enseignement supérieur.        Le maître d’une école épiscopale faisant la lectio [lecture] sur sa chaire (enluminure du XIVe siècle). Reims possède une école épiscopale qui au début du Moyen-Age est probablement...