Le cantique est chanté pour la première fois le 24 décembre 1847 à la messe de minuit de la paroisse de Roquemaure, une petite ville du département du Gard d’un peu moins de 5 000 habitants et située sur la rive droite du Rhône.
Roquemaure au début du XXe siècle .....
et aujourd'hui (site de la Mairie de Roquemaure).
L’œuvre naît de la demande faite par le curé du lieu, l’abbé Nicolas Petitjean, à Placide Cappeau, négociant en vins mais poète à ses heures, d’écrire le texte d’un cantique pour le Noël prochain.
Photo de Placide Cappeau, 1808-1877 (site de la Mairie de Roquemaure).
Pour l’interpréter, l’abbé compte sur Émilie Laurey, l’épouse de l’ingénieur qui travaille alors à la construction d’un pont suspendu sur le Rhône. Dotée d’une très belle voix, elle a l’habitude de chanter aux offices religieux de la paroisse. En outre, elle est en relation avec le compositeur Adolphe Adam dont elle a été l’élève au Conservatoire de Paris.
Adolphe Adam, 1803-1856 (Gallica-BNF).
Début décembre 1847, Placide Cappeau se rend à Paris pour son négoce et, dans la diligence, il écrit un texte qu’il porte ensuite à Adolphe Adam afin de le mettre en musique. Adolphe Adam est d’abord réticent mais Placide Cappeau s’étant recommandé de Mme Laurey, il accepte finalement. Le 24 décembre suivant, à la messe de minuit dans la petite église de Roquemaure bondée, Mme Laurey interprète pour la première fois Minuit chrétiens. De manière un peu surprenante pour une œuvre créée dans une petite ville de province, le cantique connaît un succès immédiat et se diffuse dans toute la France en seulement quelques mois. Parallèlement, le cantique traverse l’Atlantique pour être chanté au Canada et aux États-Unis. Pourtant, malgré ce succès incontestable, le cantique entre rapidement dans la ligne de mire de certaines autorités ecclésiastiques.
La première raison est idéologique et tient à la personnalité de Placide Cappeau, l’auteur des paroles. Fils d’un modeste tonnelier il a dû, enfant, être amputé de la main droite après avoir été accidentellement blessé par le fils du patron de son père. En dédommagement, ce dernier lui a payé des études secondaires à Avignon. Puis le jeune Placide est allé faire son droit à Paris où il a fréquenté les cercles littéraires. Mais ses parents prenant de l’âge, il est revenu s’installer dans sa ville natale où il a ouvert un commerce de vins, tout en gardant le goût de la chose littéraire. Sur le plan politique, il s’affirme républicain et socialiste. Sur le plan religieux c’est un libre penseur, d’inspiration voltairienne. Mais contrairement à ce que beaucoup écrivent encore aujourd’hui, ce n’est pas un athée. S’il n’est pas croyant, il est représentatif d'un courant de pensée qui mêle socialisme utopique et christianisme. En effet, ce n’est pas vraiment le fils de Dieu qu’exalte Placide Cappeau en Jésus-Christ mais plutôt le rédempteur des inégalités et des injustices. En ce sens les paroles de Minuit chrétiens possèdent bien des tonalités socialistes mais au sens où on l’entend à la veille de la Seconde République et pas du tout comme on l’entendra plus tard sous l’influence du matérialisme marxiste. La deuxième raison est musicale. Certains musiciens, très élitistes reprochent à Adolphe Adam, et malgré (ou à cause) de son succès, d’être un compositeur de second ordre, spécialisé dans les opéras-comiques. Un des plus féroces critiques de la musique du Minuit chrétiens qu’il qualifie de "musique d’ivrogne" est le compositeur Vincent d’Indy, fondateur de la Schola Cantorum et pourfendeur des musiques religieuses populaires. La troisième raison est théologique et vise certains passages du texte de Placide Coppeau, en particulier l'Homme Dieu descendu sur Terre pour arrêter le courroux de son Père, paroles accusées de ne pas être conformes à l’enseignement de l’Église catholique.
Pourtant, le cantique n’a pas été mis à l’index par l’Église, même si, parfois, certains évêques l’ont déconseillé, voire interdit. En outre, tout le monde dans l’Église est loin de le dénigrer, et d’abord les fidèles à qui ce chant de Noël a plu dès le départ. Beaucoup de curés notent aussi que le chant fait à la messe de Noël "une profonde et pieuse impression". Certains signalent même que des protestants vont à la messe de minuit uniquement pour entendre chanter le Minuit chrétiens. On peut dire que ce cantique rassemble les catholiques pratiquants réguliers et les pratiquants occasionnels. Certes, la conception que se fait Placide Cappeau de Jésus n’est pas tout à fait conforme théologiquement mais elle parle indéniablement à une grande partie des fidèles, sans compter que le Minuit chrétiens touche bien au-delà du monde catholique, notamment par les reprises qu’en on faites de célèbres chanteurs de variétés comme Tino Rossi ou Mireille Mathieu.
"Minuit,
Chrétiens ! C’est l’Heure Solennelle,
Où
l’homme Dieu descendit jusqu’à nous
Pour
effacer la tache originelle,
Et
de son Père arrêter le courroux.
Le
monde entier tressaille d’espérance,
À
cette nuit qui lui donne un Sauveur.
Peuple
à genoux, attends ta délivrance,
Noël,
Noël, voici le Rédempteur,
Noël,
Noël, voici le Rédempteur.
De
notre foi que la lumière ardente
Nous
guide tous au berceau de l’enfant,
Comme
autrefois une étoile brillante
Y
conduisit les chefs de l’Orient.
Le
Roi des rois naît dans une humble crèche ;
Puissants
du jour, fiers de votre grandeur,
À
votre orgueil c’est de là qu’un Dieu prêche :
Courbez,
courbez vos fronts devant le Rédempteur,
Courbez
vos fronts devant le Rédempteur.
Le
Rédempteur a brisé toute entrave,
La
terre est libre et le Ciel est ouvert.
Il
voit un frère où n’était qu’un esclave :
L’Amour
unit ceux qu’enchaînait le fer !
Qui
Lui dira notre reconnaissance ?
C’est
pour nous tous qu’Il naît, qu’Il souffre et meurt :
Peuple,
debout ! Chante ta délivrance,
Noël,
Noël, chantons le Rédempteur,
Noël,
Noël, chantons le Rédempteur".




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