Ebles de Roucy
En 1023, l’archevêque de Reims, Ebles de Roucy, rachète au comte Eudes le Champenois la totalité des droits comtaux sur Reims. Les
droits comtaux sont des droits fiscaux, militaires et judiciaires que
détiennent de hauts personnages, les comtes. Au départ, les comtes
exercent ces pouvoirs par délégation royale mais, progressivement, ils
vont l’accaparer pour eux-mêmes. Les comtes sont le plus souvent des
seigneurs laïcs mais dans quelques cas la fonction est remplie par un
évêque qui, outre son pouvoir spirituel possède aussi le pouvoir
temporel. C’est le cas à Reims où, en 940, L’archevêque reçoit le titre
de compte avec le droit de lever des impôts, de rendre la justice et
d’enrôler des troupes pour garder les murailles de la ville. Cependant
au début du XIe siècle, l’archevêque ne possède pas encore la totalité
des droits comtaux mais doit doit les partager avec plusieurs seigneurs
laïcs et en particulier avec le puissant Eudes II le Champenois.
Eudes
II a recueilli l’héritage des comtes de Vermandois et celui des comtes
de Blois. Ses domaines sont immenses puisqu’il possède les comtés de
Tours, de Blois, de Chartres, de Provins, de Troyes et, en partie
seulement, de Reims. Ses possessions d’Eudes prennent en écharpe l’Île
de France, cœur du domaine royal capétien, ce qui inquiète fortement le
roi Robert le Pieux. Pour comprendre cette situation il convient de
revenir en arrière. Après la mort du roi robertien Raoul, évoqué dans le
précédent article, les grands seigneurs font de nouveau appel à un
prince carolingien, Louis IV qui est un fils de Charles le Simple. Lui
succèdent ensuite son fils Lothaire puis son petit-fils Louis V. Mais ce
dernier étant mort dans un accident de chasse en 987, les grands
seigneurs, sous l’impulsion de l’archevêque de Reims Adalbéron, élisent
cette fois comme roi de Francie occidentale le petit-fils de Robert
1er , Hugues Capet. Cela marque la fin définitive des carolingiens et la
naissance des capétiens qui, on l’aura compris, sont issus des Robertiens. Quand Hugues Capet meurt en 996 son fils Robert le Pieux
monte sur le trône. Mais il ne faut pas se faire d’illusion sur la
puissance de ces premiers rois capétiens qui est bien faible. Ils ne
contrôlent que le domaine royal proprement dit, c’est à dire l’espace
compris entre Paris, Senlis et Orléans. Au-delà ils se heurtent à
l’autonomie de puissants seigneurs comme la famille de Blois-Vermandois.
C’est pour affaiblir cette menace que Robert le Pieux entend évincer
totalement Eudes II du comté de Reims en faisant passer la totalité des
droits comtaux à un archevêque qu’il contrôlerait. En 1021, première
étape : il réussit à faire élire comme archevêque un de ses fidèles,
Ebles de Roucy, qui a en plus l’avantage d’être, à titre familial,
l’héritier d’une partie des droits comtaux sur Reims. En 1023 seconde
étape : avec l’appui du roi l’archevêque Ebles de Roucy rachète au comte
Eudes le Champenois la totalité des droits comtaux sur Reims. Puis il
lègue ses derniers à ses successeurs, donc à l’Église de Reims.
L’archevêque devient le seul maître du comté de Reims mais en
arrière-plan, c’est le roi qui en prend le contrôle par archevêque
interposé. Une conséquence importante de cet évènement est que les
sacres royaux se feront désormais à la cathédrale de Reims, le premier
étant en 1027 celui de Henri 1er, fils de Robert le Pieux. Il est à
noter que, par précaution, ce sacre se fait du vivant de Robert le Pieux
car la dynastie capétienne n’étant pas encore très solide, ce fils déjà
sacré risquera moins d’être contesté à la mort de son père.
Un
peu plus tard le même processus a lieu pour le comté de Châlons-en-
Champagne dont l’évêque devient aussi le seigneur temporel avec l’appui
du roi. Reims et Châlons sont désormais les points d’appui des capétiens
dans la région. A Troyes, par contre, le comte parvient à maintenir son
pouvoir en faisant élire les évêques dans des familles qui lui sont
proches. C’est la naissance des deux Champagnes, la Champagne royale
autour de Reims et Châlons et la Champagne comtale autour de Troyes.
Désormais
l’archevêque de Reims est aussi le seigneur de la ville ou du moins de
sa plus grande partie, appelée ban de l’archevêque (le mot ban désignant
l’espace où s’exerce une autorité), car deux secteurs échappent à son
pouvoir : le ban de Saint-Remi qui relève de de la riche et puissante
abbaye et le ban de Saint-Nicaise, encore que ce dernier se limite à
seulement quelques maisons seulement. L’archevêque lève des impôts sur
les terres et sur les activités économiques de son ban. Il a le droit de
mettre en prison les délinquants et de leur d’infliger des amendes. Or,
ces pouvoirs et les revenus qui vont avec, les archevêques n’entendent
pas les partager ce qui va entraîner pendant plus de 150 ans des
tensions constantes avec les Rémois.
Cathédrale de Reims : tombe de l’archevêque Ebles de Roucy (photo
de la fin de 1920, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine).
En septembre 1920, des fouilles archéologiques dans le sous-sol de la cathédrale, menées sous la direction d'Henri Deneux, ont permis de retrouver les tombes de plusieurs archevêques du XIe siècle enterrés dans ce qui était alors la cathédrale carolingienne (la deuxième des trois cathédrales successives). Parmi ces tombes se trouve celle d’Ebles de Roucy, décédé en 1033 et enterré avec son calice d’étain, sa patène et son anneau d’or.