Si les fleuves et les rivières sont depuis l’Antiquité utilisés pour le transport des marchandises, la construction de canaux artificiels est plus récente car liée à deux inventions datant du XVIe siècle, l’écluse à sas et le canal à alimentation artificielle.
C’est au XVIIIe siècle que naissent les premiers projets d’un canal qui relierait la Meuse à l’Aisne mais il faut attendre les années 1820, avec le Plan national d’aménagement des voies navigables établi par le directeur général des Ponts et Chaussées Louis Becquey, pour que ce canal voit le jour. Les travaux débutent en 1823 et le canal est progressivement ouvert entre 1827 et 1836. Ce canal, dit des Ardennes, long de 88 kilomètres avec 44 écluses, va de Pont-à-Bar, où il se branche sur le canal de la Meuse, à Vieux-les-Asfeld, où il fait sa jonction avec le canal latéral à l’Aisne. En 1836 est rajouté l’embranchement de Vouziers à Semuy, qui fait 12 kilomètres avec 4 écluses. Entre 1840 et 1846, l’alimentation du canal est améliorée avec la construction du lac-réservoir de Bairon dont le site a été racheté par l’État à un certain Lormier, maître de forges au Chesne.
Mais si les Ardennes ont bénéficié du plan de 1820, ce dernier a totalement ignoré la ville de Reims au grand dam de sa municipalité qui réclamait depuis longtemps un canal reliant l’Aisne à la Marne afin de désenclaver les usines rémoises à une époque où il n’y a pas encore de chemin de fer. Cependant, il faut attendre juillet 1840 pour que soit voté un crédit de 13 millions de francs destiné à financer ce canal. Toutefois les travaux avanceront lentement. En mars 1848 est inauguré le premier tronçon qui va de Berry-au-Bac à Reims. En 1856 on perce le tunnel du mont de Billy et c’est seulement en 1866 que la dernière partie du canal, entre Reims et Condé-sur-Marne, est achevée. Au total, le canal de l’Aisne à la Marne mesure 58 kilomètres et comporte 24 écluses.
Pendant longtemps les bateaux sont en bois et tirés par des chevaux le long d’un chemin de halage, à la vitesse moyenne de 2 kilomètres par heure. Un cheval suffit jusqu’à 100 tonnes mais au-delà il en faut deux. Les bateaux sont de tailles diverses, les plus usités étant au départ les mignoles. Dans les années 1880 les deux canaux sont élargis et mis au gabarit Freycinet, du nom du ministre des transports de l’époque, qui permet de faire naviguer des péniches de type flamand, longues de 38,5 mètres et larges de 5, qui portent 250 tonnes en canal et 350 tonnes en rivière profonde.
Cette photographie montre une péniche de type Freycinet qui descend le canal, tirée par deux chevaux. Mais elle montre aussi à la remontée, un bateau à vapeur. Il s’agit probablement d’un porteur à vapeur, type de bateau resté très marginal car la machine à vapeur prenait trop d’espace, au détriment de celui laissé pour les marchandises (Archives
Progressivement la péniche flamande au gabarit Freycinet va supplanter tous les autres types de bateaux fluviaux, ce qui explique que l’on appelle aujourd'hui « péniche » n’importe quel bateau fluvial, même s'il n'appartient pas réellement à cette catégorie.
Après la Seconde Guerre mondiale les péniches de bois tirées par des chevaux sont remplacées progressivement par des péniches en acier équipées d’un moteur. Ces automoteurs conservent les dimensions et l’allure des péniches Freycinet en bois dont elles sont sont issues mais la motorisation et l'acier apportent au marinier plus d’aisance et d'autonomie.
Carte postale de 1957 représentant une péniche passant le Pont de Vesle. On aperçoit sur le chemin de halage les rails et les fils utilisés par les tracteurs électriques qui, dans les années 1950, avaient remplacé les chevaux avant de disparaître à leur tour devant la généralisation des automoteurs (Archives municipales et communautaires de Reims).
Chaque marinier est généralement propriétaire de son bateau sur lequel il vit avec sa famille, dans un petit logement de 15 à 20 m², le plus souvent situé à l’arrière. La batellerie est une activité qu’un homme seul ne peut mener et il a donc besoin de l’aide de son épouse et, parfois, de ses enfants. Le milieu marinier est aussi un milieu bien particulier, avec une forte endogamie. Les mariniers se fréquentent entre eux, se marient entre eux et le bateau, centre de leur vie, est l’objet de tous leurs soins.
En ce qui concerne le trafic, pendant des décennies les péniches vont transporter du fret constitué de marchandises lourdes et de faible valeur unitaire : charbon, bois, matériaux de construction, sable, blé. Le canal des Ardennes est indissociable du développement industriel du département et celui de l’Aisne à la Marne alimente les usines textiles ou les verreries rémoises.
Le port du canal à Reims au début du XXe siècle avec, à gauche, les cheminées des usines textiles (coll.part).
Cependant à partir des années 1970-1980 les difficultés commencent à s’accumuler. Le gabarit Freycinet est inaccessible aux grands automoteurs modernes ou aux convois de péniches qui ne peuvent circuler que sur des canaux à grand gabarit. Nos deux canaux voient donc circuler des péniches de plus en plus rarement puisque les matériels anciens de type Freycinet ne sont pas renouvelés quand ils sont usés. L’effondrement du trafic de marchandises est sans appel. Entre le milieu des années 1970 et aujourd’hui celui du port fluvial de Reims est divisé par six, tendance accentuée par la désindustrialisation. La même crise touche le canal des Ardennes. En outre, les nombreuses interruptions de trafic, dues à la vétusté de canaux dont l’entretien n’est pas considéré comme prioritaire, n’arrangent pas les choses. Le canal des Ardennes a même été fermé de 2018 à 2021, suite à l’effondrement d’une écluse.
Face à cette situation critique on cherche à développer la navigation de plaisance et le tourisme. Ainsi, à Reims même, l’ancien port du boulevard Doumer est devenu une halte nautique et le chemin de halage a laissé place à une coulée verte pour piétons et cyclistes sur une vingtaine de kilomètres.
La "voie verte" à Reims au niveau du quartier Saint-Remi.
En ce qui concerne le canal des Ardennes, un contrat de partenariat entre les Voies Navigables de France, la Région Grand-Est et le département des Ardennes a été signé pour remettre en état les infrastructures les plus vétustes. Cela dit, si beaucoup se réjouissent de cette évolution vers un "tourisme vert", il est permis tout de même de se demander si elle ne constitue pas un appauvrissement de l’activité économique, préjudiciable à terme pour Reims et les Ardennes. Tout dépendra, en fait, de la politique nationale des transports qui, malheureusement et cela depuis longtemps, fait des voies fluviales le parent pauvre de son action.
Je me permets de renvoyer le lecteur qui voudrait en savoir plus sur le canal de l'Aisne à la Marne à mon article en ligne sur le site des Archives municipales et communautaires de Reims, rubrique articles historiques, XIXe siècle, Reims et son canal.
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