Accéder au contenu principal

Les petites écoles

 

 

 

 

 

 

Aux Temps Modernes les petites écoles destinées à offrir aux enfants du peuple un enseignement élémentaire, savoir lire, écrire et compter sont largement négligées car à cette époque les élites estiment que l’instruction du peuple n’est pas nécessaire et même dangereuse. En effet, pour les catégories dominantes, des pauvres instruits risquent de ne plus se contenter de leur condition inférieure et de la contester. Même un esprit, dit  éclairé, comme Voltaire, estime, que "ce n’est pas le manœuvre qu’il faut instruire, c’est le bon bourgeois car autrement on ne trouvera plus personne pour travailler la terre ". Instruire les enfants du peuple est laissé à l’Église catholique dont c'est le devoir de faire la charité aux pauvres. Dans le diocèse de Reims, au début du XVIe siècle, il existe seulement quelques écoles paroissiales, comme par exemple à Rethel où, en 1515, l’archevêque Robert de Lenancourt accorde l’autorisation à deux frères, les sieurs Millet, de tenir une école de garçons. Cependant, en faisant de la lecture de la Bible en français une de ses bases, le protestantisme va inciter à la création de petites écoles où le maître est l’auxiliaire du pasteur. Aussi, face à ce défi, les évêques réagissent et demandent que chaque paroisse catholique ait son école, ce qui peu à peu se met en place.

Dans le diocèse de Reims, l’école doit être tenue de la Saint Remi, le 1er octobre, jusqu’à Pâques. Il s'agit de la période de la morte-saison pour les travaux agricoles et les enfants ont davantage de temps libre. Chaque écolier doit verser au maître d’école trois sous par mois, somme modeste en apparence mais qui est  hors de portée des plus pauvres comme à Vieux-les-Asfeld, dans les Ardennes, où en 1692 le curé note que "les parents ne négligent pas d’envoyer leurs enfants à l’école à l’exception des pauvres gens qui n’ont pas de quoi payer le mois aux maîtres". A la campagne, tous les élèves sont réunis dans la même salle, filles et garçons étant juste séparés par un banc. En ville, il y a  des écoles de garçons et des écoles de filles, ce qui est plus conforme aux demandes de l’Église qui condamne la mixité scolaire. Dans les petites écoles on commence d’abord par apprendre à lire puis seulement après à écrire, les deux opérations n’étant jamais menées de front. Les difficultés sont plus grandes pour l’écriture, car il faut du matériel qui souvent fait défaut. Quant au calcul, il se réduit généralement à identifier les chiffres et à connaître une opération ou deux. Tout cela fait que ceux qui savent lire, écrire et compter sont beaucoup moins nombreux que ceux qui savent seulement lire. Comme on regroupe dans la même salle des enfants d’âges et de niveaux très différents, le maître utilise la méthode individuelle, c’est-à-dire qu’il ne s’occupe que d’un élève à la fois, délaissant provisoirement les autres. C’est peu efficace mais on ne peut guère faire autrement.



Une école primaire vers 1780, gravure par de Boissieu. Le maître, visiblement, y pratique la méthode individuelle (Bibliothèque Nationale de France).


A la campagne, les maîtres d’école sont recrutés sur place. Ils travaillent parfois en famille comme à Villers-Allerand, près de Reims, où la fille du maître enseigne aux filles dans une salle à part. Dans les villes on rencontre souvent des instituteurs improvisés, parfois d’anciens soldats ou d’anciens séminaristes qui n’ont pas achevé leur formation. Comme les maîtres d’école gagnent très peu, certains doivent en plus exercer d’autres métiers. C’est le cas dans la paroisse de Lagery, près de Ville-en-Tardenois, où en 1703, le maître d’école est aussi "arpenteur, greffier, buraliste ce qui fait qu’il ne donne pas la moitié de son temps à l’instruction des enfants". Contrairement à aujourd’hui on n’attend pas du maître d’école d’abord des compétences techniques mais ce qui importe, c’est qu’il ait de bonnes mœurs et qu’il apprenne bien le catéchisme. Il est considéré comme un auxiliaire du curé comme le rappelle Monseigneur d’Etampes de Valençay, archevêque de Reims au XVIIe siècle : "que les maîtres soient soumis en tout aux curés, qu’ils les assistent dans l’administration des sacrements et la célébration des offices, qu’ils tiennent l’église propre et convenable". Les maîtres d’école sont donc aussi sonneurs de cloche, sacristains, balayeurs de l’église. Les doyens, c’est-à-dire les archiprêtres, qui supervisent plusieurs paroisses, établissent des rapports sur eux. Ainsi, en 1678, celui d’Attigny, dans les Ardennes, écrit que "tous les maîtres font bien leur devoir à l’exception de celui de la paroisse de Pauvres, accusé de chicane et de négligence".

A côté des écoles paroissiales il existe aussi, surtout dans les villes, des écoles qui dépendent de congrégations religieuses vouées à l’enseignement des enfants pauvres. Au XVIIe siècle, deux Rémois s’illustrent dans ce domaine. Le chanoine Nicolas Roland  fonde, pour instruire les filles pauvres, la Congrégation du Saint Enfant Jésus. Saint Jean-Baptiste de la Salle ouvre en 1683 sa première école rue de Contrai à Reims et fonde l’Institut des Frères des écoles chrétiennes, lesquels donnent un enseignement élémentaire gratuit aux garçons pauvres. C’est un enseignement populaire et non élitiste comme celui des collèges jésuites. Ainsi il se donne toujours en français et jamais en latin. Comme les effectifs des élèves sont élevés, les Frères utilisent non pas la méthode individuelle mais la méthode simultanée où les élèves sont regroupés par niveau. Mais l’innovation capitale de Saint Jean-Baptiste de la Salle est son souci de former de vrais professionnels de l’éducation. Les Frères des écoles chrétiennes reçoivent une formation dans des noviciats et, comme ce sont des religieux liés par des vœux simples, pauvreté, chasteté et obéissance, et non des prêtres, ils ne font que de l’enseignement  Par contre, devant vivre en communautés d’au moins trois frères, on ne les trouve que dans les villes et jamais dans les paroisses rurales à école unique. A la mort, en 1719, de Saint Jean-Baptiste de la salle, les Frères des écoles chrétiennes tiennent une vingtaine d’écoles à Paris et en province, dont trois à Reims et une à Rethel. A la veille de la Révolution, ils sont présents dans 116 villes du royaume et scolarisent des dizaines de milliers d’élèves. A Reims, ils tiennent cinq écoles gratuites de garçons. En ce qui concerne les écoles gratuites de filles, Reims en compte aussi cinq, tenues par les sœurs du Saint Enfant-Jésus.


Les Frères conduisant leurs élèves à l'église de Saint-Nicolas-des-Champs à Paris (Musée national de l'Education de Rouen). 

Cette lithographie de Jean-Henri Marlet (1771-1847) date des débuts de la Restauration mais aurait pu tout aussi bien avoir été faite à la veille de la Révolution et montrer des Frères rémois à la place des parisiens. Les Frères mènent leurs élèves à la messe de la paroisse où leur école est installée. Ils portent l'habit voulu par leur fondateur : une robe noire fermée sur le devant avec un rabat blanc, un tricorne noir, de gros souliers et un manteau à manches flottantes, inspiré de celui des paysans champenois, d'où leur surnom un peu moqueur de "frères quatre bras".


Les petites écoles ont fait sans conteste reculer l’analphabétisme. La capacité à signer son nom, même si cela n’indique pas forcément une maîtrise totale de l’écrit, a progressé. Cela dit, il existe des inégalités selon les sexes, les hommes étant plus alphabétisés que les femmes, et selon les régions avec une avance de la France du Nord sur celle du Midi. Ainsi, à la veille de la Révolution, dans les Ardennes 55 % des hommes signent leur acte de mariage et 61 % dans la Marne alors que la moyenne française est seulement de 29 %. Pour les femmes, on est à 29 % dans les Ardennes et à 25 % dans la Marne, la moyenne française étant seulement de 14 %. La scolarisation dans les villes est aussi plus forte que dans les campagnes. A Reims, à la veille de la Révolution, presque la moitié des enfants du peuple sont scolarisés, au moins deux ou trois ans, dans les écoles gratuites tenues par les Frères des écoles chrétiennes pour les garçons et par les Sœurs du Saint Enfant Jésus pour les filles.



Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

La draperie sedanaise

Une activité textile fondée sur la laine cardée existe déjà à Sedan au XVIe siècle mais son importance est bien médiocre. il faut attendre le rattachement de la principauté au royaume de France en 1642 pour que débute véritablement l’industrie textile sedanaise, toujours spécialisée dans la laine cardée. En juin 1646, un arrêt du Conseil d’État accorde à un marchand parisien, Nicolas Cadeau, le privilège de fabriquer " certains draps noirs et de toute autre couleur, façon à la manière de Hollande ". Il s’agit de draps de luxe, en laine fine, très prisés à la cour du roi, dans le clergé et la magistrature, et que la France achetait jusque-là aux Pays-Bas ou en Espagne. Il faut dire qu’à l’époque domine la théorie mercantiliste, dont le plus célèbre représentant en France est le rémois Jean-Baptiste Colbert, qui estime que, la puissance d’un État se mesurant à sa richesse monétaire, il faut éviter le plus possible d’importer des produits étrangers comme l’explique alors ...

Les pèlerinages dans le diocèse de Reims à la fin de l'Ancien régime

    Le diocèse de Reims depuis le 14e siècle, avec les plans de Reims, Rethel, Sedan, Mézières et Charleville au 18e siècle. Tous les établissements religieux existant à la veille de la Révolution sont mentionnés. Carte établie et publiée en 1957 par Lucie Fossier et Odile Grandmottet (numérisée en 2021 par la Bibliothèque historique de la Ville de Paris et visible pour l'agrandir sur Gallica-BNF). Portrait de Charles-Antoine de la Roche-Aymon (1697-1777), école du peintre suédois Alexandre Roslin (Musée de San-Francisco).   En 1774, le cardinal de la Roche-Aymon, archevêque de Reims, envoie à chaque curé de son diocèse un long questionnaire imprimé portant sur la situation de sa paroisse. Cette initiative est d'ailleurs exceptionnelle au XVIIIe siècle puisque, outre Reims, deux diocèses seulement ont fait de même, Rodez en 1771 et Bordeaux en 1772. En outre, c'est l'enquête de Reims qui est la plus détaillée et la plus riche en questions. Or, parm...

Le protestantisme à Reims

  Dans le premier tiers du XVIe siècle le protestantisme semble déjà avoir pénétré à Reims puisque quelques groupes de réformés  parcourent les rues en chantant des psaumes. Mais, dans la ville des sacres où le clergé catholique est très puissant, le nombre de protestants est bien faible, 3 à 400 au grand maximum. En outre, l’arrivée en 1538, comme archevêque, du cardinal de Lorraine (cf. l'article du blog qui lui est consacré) , un des champions de la Contre-Réforme catholique, va réduire à néant le développement du protestantisme à Reims. Les protestants rémois sont chassés, en particulier l'influent Pierre Craon, dit "Nez d'argent" à cause d'une plaque de ce métal qu'il portait suite à un accident.    Voulez vous ouyr chanson La plus belle de France, C'est du nez d'argent Qui est mort sans doutance: A la voyrie fut son corps estendu Or est le nez d'argent pendu. On a veu nez d'argent Avecques ses complices Estans dedans Pa...

Les métamorphoses de la Champagne crayeuse

      La champagne crayeuse (en vert sur la carte) est un vaste plateau peu élevé qui, de Reims à Troyes, forme un arc arc-de-cercle s’étendant sur 175 kilomètres du nord au sud et sur une soixantaine de kilomètres d’ouest en est. A cheval sur les trois départements des Ardennes, de la Marne et de l'Aube, elle se présente comme une plaine largement ondulée et coupée par des vallées, dont l'altitude varie entre 100 et 250 mètres. Comme une grande partie du Bassin Parisien auquel elle appartient elle est constitué de craie mais ici, à la différence de la Brie voisine, elle n’est pas recouverte de loess fertile. En Champagne la craie affleure à la surface avec, au mieux, une épaisseur de terre de 30 à 40 centimètres. Pendant des siècles cette Champagne crayeuse, sans passer pour une région très riche, n’est pas considérée comme un pays misérable. A l’époque gallo-romaine les auteurs latins évoquent les riches moisons de la région des Rèmes et l’abondance de...

La contrebande dans les Ardennes sous l’Ancien Régime.

    Cette contrebande concerne essentiellement le tabac et le sel, deux produits dont l’État royal possède le monopole de la vente et sur lesquels il lève une taxe. Celle-ci n’est d'ailleurs pas perçue par une administration au sens moderne du terme mais par ce que l’on appelle la Ferme Générale qui est une association de financiers privés qui ont acheté au roi le droit de prélever la taxe en lui assurant une certaine somme prévue à l'avance et en gardant le reste pour eux. Les taxés paient donc non seulement ce qui est reversé au roi mais aussi ce que la Ferme juge bon de recevoir comme profit personnel. Dans ces conditions on comprend que la tentation est grande d’y échapper, ce qui alimente une importante contrebande.   En ce qui concerne le tabac, les contrebandiers ardennais s’approvisionnent à l’étranger, en particulier dans le pays de Liège, mais aussi dans le Hainaut français qui bénéficie d’une taxe sur le tabac moins élevée. Le trafic semble considé...

Le Vieux Moulin de Charleville

    Le Vieux Moulin de Charleville en 1886 par Albert Capaul (Archives Départementales des Ardennes). En 1606, Charles de Gonzague décide de fonder une cité nouvelle, Charleville, dont, deux ans plus tard, il fait la capitale de sa principauté d’Arches (cf. l’article de mon Blog sur l’histoire de Charleville). La population de la ville s’accroissant, les besoins en farine augmentent. Or il existe seulement trois petits moulins qui appartiennent à des particuliers et dont deux sont situés en dehors de la ville. Aussi, Charles de Gonzague exige-t-il que soit construit un grand moulin banal où tous les habitants de Charleville auront l’obligation de faire moudre leurs grains en payant une redevance au prince. Sa construction commence e n avril 162 6 et il est mis en service dès l'année suivante.     "Charleville, sur le bord de la Meuze dans la principauté souveraine Darches", plan de 1700 (Gallica-BNF).  Le moulin s’intèg...

Reims gallo-romain

          Les Rèmes s’étant révélés de fidèles alliés, Rome les récompense en dotant Durocotorum du statut privilégié de cité fédérée et en faisant de la ville la capitale de la province romaine de Belgique. Durocortorum connaît son apogée à la fin du IIe siècle après Jésus-Christ.  La ville a une superficie de 5 à 600 ha, ce qui est exceptionnel à l’époque et elle est entourée d’une enceinte de 7 kilomètres de long. Elle se situe au carrefour de deux voies romaines très importantes : l’une, ouest-est, va de Sens à Trèves, l’autre, sud nord, joint Lyon à Boulogne-sur-mer. Dans la ville elle-même, ces deux axes donnent le cardo nord/sud (avenue de Laon/rue du Barbâtre) et le decumanus ouest-est (rue de Vesle/rue Cérès). Durocortorum compte peut-être 20 000 habitants, soit à l'époque presque autant que Lugdunum (Lyon). La ville possède de nombreux monuments : un amphithéâtre, des thermes à l’emplacement de l’actuelle cathédrale, une basilique à...

Un Conventionnel rémois, Jean-Baptiste Armonville

    Jean-Baptiste Armonville naît à Reims, le 18 novembre 1756, dans une famille pauvre. Son père, après avoir été soldat sous le surnom de Saint-Amour, est devenu ouvrier sergier. Orphelin de mère à quatorze ans, Jean-Baptiste Armonville perd aussi, peu de temps après, son père. Il est alors recueilli par deux oncles et devient cardeur en laines. Malgré la dureté de sa condition il parvient à apprendre à lire et à écrire même si c'est de manière assez limitée. Il a aussi la charge de ses cinq enfants qu’il doit même abandonner provisoirement à l’Hôtel-Dieu de Reims, après le décès de sa femme. En 1789, Jean-Baptiste Armonville adopte immédiatement les idées révolutionnaires et anime les réunions populaires qui ont lieu à l’ancien couvent des Minimes, en plein quartier Saint-Remi qui est celui de l’industrie lainière rémoise. Son influence sur les ouvriers de la laine apparaît en pleine lumière dans l’été 1792 quand la guerre menace la frontière de l’Est. Le 4 juillet 1...

Guillaume Tronson du Coudray,

            Guillaume Tronsson, dit Tronson du Coudray, naît à Reims le 18 novembre 1750 dans une famille bourgeoise. Son père, un négociant, ayant fait de mauvaises affaires et ne pouvant continuer à payer ses études au Collège des Bons-Enfants, le fait entrer au séminaire. Mais le jeune Guillaume qui n’a aucune vocation religieuse quitte assez vite le séminaire et obtient une bourse pour entrer à l’Université de Reims. Après avoir obtenu sa licence en droit il travaille chez un négociant en vins de champagne. Lorsque son employeur lui intente injustement un procès Guillaume Tronson-Ducoudray décide de se défendre lui-même et obtient gain de cause. Ce succès l'incite alors à s’établir comme avocat à Paris où il acquiert la renommée en plaidant dans des affaires qui ont un grand retentissement.    Dessin réalisé en 1859 par Jules Perreau et représentant Guillaume Tronson du Coudray (Bibliothèques municipales de Reims).   En 1789,...

Deux archevêques de Reims aux XVIIe et XVIIIe siècles, Charles-Maurice Le Tellier (1642-1710) et Alexandre-Angélique de Talleyrand-Périgord (1736-1821)

    Charles-Maurice Le Tellier peint par Pierre Mignard, 1691 (Musées de Reims). Charles-Maurice Le Tellier naît en 1642 à Turin, son père, Michel Le Tellier, étant à cette époque intendant des troupes françaises stationnées dans le Piémont italien. Par la suite, Michel Le Tellier sera ministre de la guerre de Louis XIV. De ses deux fils, l’aîné, Louvois, lui succédera au même poste. Le second, Charles-Maurice, est quant à lui destiné à l’Eglise. Ordonné prêtre en 1666, il devient deux ans plus tard coadjuteur de l’archevêque de Reims, l’italien Antonio Barberini qui, résidant à Rome, n’était quasiment jamais venu dans son diocèse. En 1671, à la mort du cardinal Barberini, Le Tellier lui succède officiellement. Fils et frère de ministres, Charles-Maurice Le Tellier vit une partie importante du temps à la cour de Louis XIV dont il a la faveur. L’archevêque est un homme intelligent, habile, mais aussi un mondain, avide de plaisirs et d’honneurs. ...