Ermine de Reims, une visionnaire du XIVe siècle.

 

 

 

 

Née vers 1347, Ermine arrive avec son mari à Reims en 1384. Ce sont des gens très pauvres. Le couple habite rue Neuve, l'actuelle rue Gambetta, et à proximité du prieuré du Val-des-Écoliers où officient des chanoines qui suivent la règle augustinienne ; c’est là que le couple rencontre le sous-prieur Jean le Graveur, appelé à devenir leur confesseur, puis à jouer plus tard un rôle déterminant auprès d’Ermine.

En 1393, cette dernière devient veuve et, en proie à des difficultés financières, elle est logée, grâce à l’intervention de Jean le Graveur, dans une chambre attenante au prieuré. C’est là qu’elle va connaître des "visions", quasi journalières, entre octobre 1395 et le 30 août 1396, jour où elle décède de la peste. Elle est enterrée dans la nef de l'église du prieuré du Val-des-Écoliers (en 1617 le prieuré est cédé à des chanoinesses régulières et devient l'Abbaye de Saint-Étienne-les-Dames).

 

 


Épitaphe de la sépulture d'Ermine de Reims, dessin réalisé en 1610 par Georges Baussonet, architecte et dessinateur rémois né en 1577 et mort en 1644 (Bibliothèque municipale de Reims)


Les visions d'Ermine nous sont sont connues car elles ont été mises par écrit, après sa mort, par Jean le Graveur, et cela avec l’aval de sa hiérarchie. Ermine raconte être victime d'apparitions de Satan et d'autres démons sous des formes horrifiantes, telles que des mouches, des crapauds et des serpents qui l'assaillent jusqu'à lui rentrer dans la bouche. Elle prétend aussi que ces démons l'enlèvent dans les airs. Plus grave encore, ils prennent parfois la forme de Saints pour l'induire en erreur. Pour lutter contre eux, Ermine prie de manière quasi continue. Elle s’impose aussi une ascèse sévère et des formes de mortification comme par exemple le port d’une corde en guise de ceinture sous le vêtement et qui est tellement serrée qu’elle tend à s’agréger à la chair. En tout cas, elle reste toujours une humble fidèle, obéissante à l’Église et au clergé.


Le cas d’Ermine est suffisamment exceptionnel et troublant pour que les clercs rémois prennent soin, en 1401, de transmettre le récit du sous-prieur à l'ardennais Jean Gerson qui est à ce moment chancelier de L’Université de Paris. 

 

 

 
 
Gravure du XVIIe siècle représentant Jean Gerson (Bibliothèque nationale de France).

Jean Gerson, de son vrai nom Jean Charlier, est né à Gerson, près de Rethel, en 1383. Théologien et prédicateur célèbre, il a été aussi Grand chancelier de l’Université de Paris. Il est l’un des principaux acteurs du Concile de Constance qui, tenu de 1414 à 1418, met fin au Grand Schisme. Il meurt à Lyon en 1429.

Dans un premier temps Jean Gerson juge que le récit ne contient rien de contraire à la foi. Pour lui, les visions d’Ermine relèvent de la dévotion populaire, envers laquelle il s’est toujours montré fort indulgent. Il demande cependant qu’elles ne soient communiquées qu’à des personnes averties, et pas au grand public pour qui elles représentent un danger. Pour lui, si Ermine a su venir à bout du démon grâce à ses vertus, rien n’est moins sûr pour ceux qui viendraient à découvrir "cette fresque tourmentée d’images". Pourtant, quelques années plus tard, il donnera un nouvel avis beaucoup plus circonspect et suspicieux sur ces visions. Il faut dire que ce type de témoignage est difficile à interpréter pour les clercs de l'époque, qui plus est lorsqu’elles émanent d’une pauvre femme sans instruction.

Sans le récit de Jean le Graveur, Ermine de Reims serait restée totalement ignorée. Au-delà de savoir quelle part de mysticisme ou d’exaltation mentale entre dans ses visions, son cas est révélateur du trouble qui s'empare des esprits dans cette cette période tragique de la Guerre de Cent ans et de la Grande Peste noire.