La forêt ardennaise d'autrefois



 

Le département des Ardennes, surtout dans sa partie nord, est depuis toujours largement forestier. Cette forêt ardennaise est historiquement une forêt de feuillus composée de chênes, de hêtres et de bouleaux, les résineux n’étant massivement introduits qu’au XXe siècle.


La forêt n’est jamais bien loin du village ardennais et constitue pour le paysan le complément nécessaire de son champ. Il y puise d’abord le bois dont il a besoin. Le chêne est réservé aux charpentes des maisons mais aussi à la fabrication de meubles. Le hêtre, lui, est largement utilisé pour fabriquer les outils agricoles ou les charrettes. Pour le bois de chauffage le droit d’affouage permet aux villageois de prélever du bois blanc ou du taillis, dans les forêts communales. Quant à ceux qui sont officiellement reconnus comme indigents, il sont autorisés à ramasser les bois morts. 


Les forêts sont aussi ouvertes au bétail des paysans qui y mènent leurs porcs à la glandée. Le droit de vaine pâture offre la possibilité de faire paître gratuitement le bétail sur les bordures de chemin ou dans les taillis. Beaucoup de communes rurales des Ardennes rémunèrent un pâtre chargé de cette tâche pour l'ensemble des paysans de l'endroit.


La forêt est encore utilisée pour faire pousser des céréales pauvres, telles que l’avoine ou le seigle, ce qui constitue un complément précieux dans un département qui ne récolte pas assez de blé pour subvenir à ses besoins. Pour cela est mis en œuvre l'essartage, une pratique très ancienne qui consiste, après la coupe des arbres, à mettre le feu aux rémanents, c’est à dire aux restes des branches laissés par les bûcherons. On obtient alors une couche de cendres qui va servir d’engrais et permettre d’ensemencer l’essart en seigle ou en avoine. 

 

L'essartage (Archives départementales des Ardennes).

Si l’essartage permet une récolte sans apport d'engrais animal, il ne va toutefois pas sans inconvénients. Tout d’abord il faut veiller à ce que le feu ne se propage pas aux bois voisins. Ensuite l’essartage nuit aux sols forestiers en leur enlevant certains éléments fertilisants. Aussi les autorités y sont-elles hostiles et elles vont, dans la première moitié du XIXe siècle, interdire cette méthode de culture ce qui provoque un fort mécontentement, voire même ici ou là, comme à Haybes ou à Hargnies en 1835, de véritables émeutes, qui obligent l’administration à revenir sur cette interdiction. Ce qui fait finalement disparaître l’essartage c'est le développement de l’industrie qui amène les paysans pauvres à quitter leurs villages pour aller travailler dans les usines. Ceux qui ne possèdent qu’un maigre domaine agricole peuvent trouver un complément de revenu appréciable en pratiquant une activité artisanale liée au bois, comme la fabrication de sabots, de paniers en écorce ou encore de bois de fente destinés à la fabrication des tonneaux.


Cependant, la forêt ardennaise ne sert pas qu’aux paysans mais elle alimente aussi une importante activité économique spécialisée. Il s’agit tout d’abord des produits du sciage. Après avoir été débardés au moyen de chevaux, de race ardennaise le plus souvent, les troncs sont débités au passe-partout par les scieurs de long, avant qu’apparaissent dans la seconde moitié du XIXe siècle les scieries mobiles à vapeur qui rendent le travail plus rapide et moins pénible. La production de chevrons, de planches et de plateaux qui en résulte est ensuite vendue  aussi bien en France qu’en Belgique. 

 

Le transport des troncs abattus (Archives départementales des Ardennes).

 

En outre, la révolution industrielle crée de nouveaux débouchés comme les traverses pour les voies ferrées ou les bois de soutènement pour les mines. Une autre production forestière est la fabrication du tan, une poudre obtenue en écrasant les écorces de chênes et qui est utilisée pour traiter les cuirs (tannage).


Enfin, la forêt est le domaine des charbonniers, des faudeux comme ils sont appelés dans les Ardennes. Le charbon de bois est très utilisé à l’époque, que ce soit à l’échelle locale par les forgerons ou les maréchaux-ferrants ou à l’échelle nationale par les industries métallurgiques. La fabrication de ce charbon de bois répond à un processus précis. Le charbonnier délimite tout d’abord une aire de trois à six mètres de diamètre puis il plante trois piquets de trois mètres de hauteur environ qu’il entoure de rondins empilés triangulairement. Tout cela forme une cheminée autour de laquelle on répartit ensuite une trentaine de stères de bûches mesurant de 80 à 90 centimètres de long. Cet ensemble constitue la meule qui peut contenir jusqu’à trois tonnes de bois. Le charbonnier enlève alors les piquets centraux et il recouvre la cheminée d’une tôle. Enfin, il recouvre l’ensemble avec de la terre ou des mottes de gazon pour que le bois ne s’enflamme pas, le but de la manœuvre étant bien évidemment de chauffer le bois pas de le réduire en cendres. Pour la mise à feu le charbonnier ouvre la cheminée dans laquelle il déverse des braises incandescentes. Commence alors la « cuisson » du bois qui dure deux à trois jours en fonction de l’importance de la meule, le bois se carbonisant progressivement  pour se transformer en charbon. Il ne reste plus alors qu'à sortir ce dernier et à l’étaler sur le sol avant de l'ensacher.

 


 Charbonniers et leur meule (coll.part).


Le temps des travaux, bûcherons et charbonniers habitent sur place dans des huttes qu’ils ont confectionnées eux mêmes. 

 


Charbonniers et leur hutte (Archives départementales des Ardennes).


L’utilisation du charbon de bois connaît son apogée au XIXe siècle avant de subir un déclin continu dû à l'utilisation de plus en plus massive de la houille extraite des mines. Les seuls brefs regain de l'activité concernent les deux guerres mondiales. Durant la première les Allemands, qui occupent la totalité des Ardennes en font faire pour l’envoyer en Allemagne et, durant la seconde, le charbon de bois alimente les voitures à gazogène.

 

 

Camionnette Citroën équipée d’un gazogène (coll.part).