L’inventaire après-décès d’un laboureur ardennais en 1706

 

(Note : j'ai utilisé pour cet article une étude de l'archiviste Charles Braibant, parue en 1910).

Sous l’Ancien Régime, le terme de laboureur désigne un paysan aisé qui exploite une vaste superficie de terres dont il peut être soit propriétaire soit fermier à bail. C’est le cas de Pierre Queutelot qui loue à Pargny, tout près de Château-Porcien dans les Ardennes (à ne pas confondre avec Pargny près de Rethel), un vaste domaine propriété de l’abbaye de Saint Berthauld de Chaumont-Porcien. Fondée au XIe siècle, l'abbaye a connu nombre de vicissitudes, en particulier lors de la guerre de Cent Ans ainsi que lors des guerres de Religion. Installée au départ sur la colline qui a donné son nom à la ville, elle est transférée au début du XVIIe siècle au lieu-dit la Piscine (sur l'actuelle commune de Remaucourt).

 


 Chaumont (Chaumont-Porcien aujourd'hui) et ses environs, extrait du feuillet 78 de la carte de Cassini, seconde moitié du XVIIIe siècle (Gallica-BNF).

 
 

Pierre Queutelot a pris ces terres en location en 1689 et lorsqu’il décède, au début de l’année 1706, il laisse une succession relativement importante. Si les terres et les bâtiments ne lui appartiennent pas, il possède en propre le mobilier, le matériel agricole, le bétail et des récoltes pour une valeur de 6 400 livres. Certes il laisse 2 500 livres de dettes mais, au total, le surplus de sa succession se monte à 4 000 livres. C’est une somme importante que Charles Brébant estime à 20 000 francs de 1910 (soit environ 63 000 euros d’aujourd’hui).

L’inventaire après-décès indique qu’une certaine aisance règne au foyer de Pierre Queutelot. La vaisselle et le linge se trouvent en abondance dans les armoires. il y a en particulier deux tasses en argent, luxe rare dans les campagnes. La présence de deux douzaines de serviettes de toile de chanvre et de dix « mouchoirs à mettre à la poche » prouve que cette famille avait des moyens de se tenir propre peu courants à l’époque. Le mobilier est le plus souvent en chêne et il y a des matelas de plume et du linge de lit. Élément très rare aussi pour un intérieur paysan de l'époque, on relève la présence de deux livres.

 

 

Cette représentation partielle d'un tableau de 1642 peint par Louis le Nain nous donne une image d'un couple de paysans dont dont il est permis de penser que, même s'il ne s'agit pas forcément de  laboureurs, ils ne figurent pas parmi les plus pauvres : des vêtements simples mais propres (même si le pantalon de l'homme est rapiécé), des chaussures de cuir et des guêtres (les paysans les plus misérables vont en sabots ou pieds-nus), du vin servi dans un véritable verre, un tissu faisant office de nappe, un chien d'agrément et non un simple corniaud de ferme (Musée du Louvre). 

 

L’étable de Pierre Queutelot abrite 10 vaches, 3 veaux, 10 génisses, 1 taureau, 2 bœufs, 9 chevaux et 1 mulet ; dans la bergerie on trouve 52 moutons ainsi que 38 agneaux ; complètent ce cheptel, 6 porcs, 80 poules, 2 coqs, 4 dindons, 6 oies et 9 canards. Les instruments agricoles sont nombreux : des charrues, des herses, des chars et des charrettes. 

 


Ce tableau de Nicolas-Bernard Lépicié peint en 1784 montre la cour d'une ferme (probablement dans le Bassin parisien). Visiblement il s'agit d'une exploitation déjà importante : plusieurs bâtiments, bétail, charrettes (Musée du Louvre).

 

Cette aisance explique que la femme de Pierre Queutelot, qu’il a épousée en 1680, puisse payer un enterrement relativement coûteux à son époux. Elle verse 11 livres au curé d’Herpy, la paroisse où est né Pierre Queutelot et où il est enterré, mais aussi 6 livres à un prêtre de Chaumont-Porcien qui assiste au service, ainsi que 5 livres au maître d’école et 4 livres au fabricant de cierges.

Quelques mois après le décès de Pierre Queutelot, sa veuve épouse Nicolas Coussy qui reprend le bail de la ferme avec l’abbaye de Saint-Berthauld. Malheureusement, il ne fait pas d’aussi bonnes affaires que son prédécesseur. Endetté, il doit finalement renoncer à son bail. En outre, comme il refuse de payer ses arriérés de fermage, l’abbaye va lui intenter plusieurs procès.