(J’ai largement utilisé pour cet article le petit ouvrage d’Eugène Fagot, La Ferme de la Haute-Maison : monographie, paru en 1882 et conservé à la Bibliothèque Carnegie de Reims).
Eugène Fagot naît le 10 novembre 1859 à Saulces-Monclin. Il a hérité de son père, Jean-Baptiste Fagot, deux passions celle de l'agriculture et celle de la chose publique. En effet, ce père, propriétaire de la ferme de la Haute-Maison, sur la commune de Mazerny près de Poix-Terron, accumule prix et récompenses dans les comices et concours agricoles. Il est aussi maire de Mazerny et député des Ardennes de 1885 à 1889.
La commune de Mazerny qui a 400 habitants en 1850 en compte 300 à la toute fin du XIXe siècle et 130 aujourd'hui (Archives départementales des Ardennes).
Après avoir terminé ses études à l'Institut National Agronomique, Eugène Fagot revient à la Haute-Maison avec l'ambition de faire du domaine paternel une exploitation modèle. Il y parvient si bien qu'en peu d'années sa réussite est donnée en exemple dans tout le département des Ardennes.
Les Ardennes sont composées de trois zones agricoles qui se différencient en fonction de leur géologie. La première, qui correspond en gros aux arrondissements de Rocroi et de Sedan, est constituée de terrains granitiques datant de l’Ère primaire. Les sols n’y permettent que des cultures pauvres, comme celle du seigle, et l’élevage y est peu développé. La deuxième qui s’étend du sud de l’arrondissement de Mézières au nord de celui de Rethel est formée de terrains du Jurassique, une période de l’Ère secondaire. Les sols y étant plus riches, le blé remplace le seigle et le bétail y est plus nombreux. C’est à cette zone que se rattache le terroir de la ferme de la Haute-Maison. Enfin, la troisième regroupe l’essentiel des arrondissements de Rethel et de Vouziers avec des terrains datant du Crétacé, période qui suit le Jurassique. Son sol crayeux ne permet à l’époque que des cultures pauvres ainsi que l’élevage des moutons pour la laine. Cela peut surprendre aujourd’hui mais il faut rappeler que la richesse agricole actuelle de cette zone n’est apparue qu’après la Seconde Guerre mondiale avec la généralisation des tracteurs et des charrues modernes suffisamment puissants pour retourner les sols crayeux et l’emploi généralisé d'engrais chimiques pour les amender.
En 1882, la ferme de la Haute-Maison compte 91 hectares de terres, ce qui est considérable pour l’époque. Une partie de cette superficie a d’ailleurs été acquise par Eugène Fagot lui-même qui a largement agrandi le domaine paternel. Cependant, le remembrement n’existant pas encore, ces terres sont extrêmement morcelées ce qui gêne beaucoup leur exploitation. La ferme fonctionne avec des ouvriers agricoles. Trois sont des permanents, un domestique de charrue, un vacher et une servante. Mais de nombreux journaliers sont aussi employés au moment des gros travaux.
Fort de ses connaissances agronomiques, Eugène Fagot améliore beaucoup son exploitation. Il y développe la culture intensive et produit d’abondantes récoltes de blé mais aussi de plantes fourragères, luzerne ou trèfle essentiellement. Sur ses herbages permanents il entretient un nombreux troupeau de bovins pour la vente du lait et de la viande mais aussi pour le fumier qui sert à enrichir les sols, même s’il n’hésite pas à acheter en complément des engrais du commerce. Cependant, la culture qui tient la plus grande place est celle du blé. Eugène Fagot obtient des rendements de 25 quintaux à l’hectare, chiffre faible selon nos critères actuels mais nettement supérieur à la moyenne des Ardennes de l’époque. Le blé est coupé, mis en javelles qui sont ensuite liées en gerbes. Ces dernières sont alors dressées en "cavaliers" de 10 gerbes : une gerbe dressée verticalement sert de support à 8 autres sur les côtés, le tout couronné par une dixième gerbe, le "chapeau".
Une partie du travail est effectuée à la main mais une autre partie est déjà mécanisée. La ferme de la Haute-Terre possède en effet, chose rare à l’époque, un semoir mécanique et, surtout, une faucheuse mécanique ainsi qu’une moissonneuse-lieuse. Ces deux machines sont de marque Wood et ont été importées des États-Unis. Elles sont encore tirées par des chevaux de trait qui sont au nombre de six à la Haute-Maison.
Extrait d'un catalogue de machines agricoles de la Belle Époque (coll.part).
Eugène Fagot connaît pourtant quelques échecs, notamment sa tentative de développer un élevage de 200 moutons qui tourne court, faute de rentabilité. De même ses frais sont importants. Au total, si l’exploitation d’Eugène Fagot réalise des bénéfices, ces derniers apparaissent faibles par rapport à ceux d'exploitations de taille comparable mais situées dans des régions plus favorisées que les Ardennes, comme la Beauce ou la Brie.
Eugène Fagot prend aussi des responsabilités dans le milieu agricole. Au niveau départemental, il préside le Syndicat des agriculteurs des Ardennes ainsi que la Caisse régionale de Crédit agricole. Au niveau national, il est membre du Conseil supérieur de l'agriculture.
Il poursuit enfin une riche carrière politique, d'abord locale puis nationale quand, en 1900, il devient sénateur des Ardennes (il le reste jusqu'à son décès). Au Palais du Luxembourg, où il siège dans le groupe de la gauche républicaine, il participe à tous les débats qui concernent l’agriculture. Le premier conflit mondial constitue pour lui une épreuve puisque, à partir d’août 1914, il ne peut plus se rendre dans les Ardennes envahies par les Allemands. Il doit attendre la fin du mois de décembre 1918 pour retourner dans son département qui vient d’être libéré. Malheureusement, c’est au retour de cette visite qu’il meurt, le 9 janvier 1919, dans un accident d’automobile à Châlons-sur-Marne.
Caricature présentant les deux centres d'intérêt d'Eugène Fagot, l'agriculture et la politique (parue dans un numéro de la Vie ardennaise illustrée).
De gauche à droite : Pierre Népoty, préfet des Ardennes de la fin août 1914 à 1918, Lucien Hubert et Eugène Fagot, sénateurs des Ardennes. La photographie est prise ailleurs que dans les Ardennes puisque, le département étant occupé entièrement par les Allemands, le haut-fonctionnaire et les deux élus n'ont pas pu y demeurer (coll.part).
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