Pour comprendre cette création, il convient de se replacer dans le contexte du début du XIXe siècle qui est marqué par les débuts de l’industrialisation et une misère croissante, notamment chez les ouvriers aux salaires misérables et sans aucune protection contre le chômage, la maladie ou la vieillesse.
Pour les philanthropes de l’époque, tous issus de la bourgeoisie et d'esprit paternaliste, cette misère est due avant tout à l’imprévoyance des classes populaires qui, par conséquent, doivent être incitées à épargner pour faire face aux aléas de la vie. Cependant, un obstacle majeur réside dans le fait que les pauvres ne pouvant mettre de côté que des sommes très minimes, leur épargne ne peut pas intéresser les banques classiques. Il est donc nécessaire de créer des établissements pariculiers qui puissent regrouper ces petits dépôts pour ensuite les placer. C’est dans ce but que deux notables, Benjamin Delessert et le duc de la Rochefoucauld-Liancourt, créent en 1818 la Caisse d'épargne et de prévoyance de Paris, la première à exister en France.
En 1823, Reims est la dixième ville de province à mettre en place sa propre Caisse d’épargne et de prévoyance. A l’origine du projet on trouve la Ville et son maire, Jean-François-Irénée Ruinart de Brimont.
Ce dernier charge, au printemps 1822, le manufacturier et membre de la Chambre de commerce, Pierre-Augustin Dérodé-Gérusez, d’établir un rapport sur le sujet, rapport qui est validé par le conseil municipal en juillet de la même année. L'existence de la Caisse d'épargne et de prévoyance de Reims est officialisée par une ordonnance royale en date du 23 avril 1823.
La
Caisse d’épargne de Reims est destinée "à
toutes les personnes laborieuses et économes qui désirent y verser
leurs petites épargnes". Elle est constituée sous la forme d'une
société anonyme avec un modeste capital de départ de 18 000 francs, somme
qui n’a rien à voir avec le capital propre des banques privées qui peut se monter à des centaines de milliers, voire des millions de francs. 10 000 francs
sont apportés par la ville et 8 000 francs par 233 Rémois, "notables et charitables", qui appartiennent à l’élite
économique et politique de Reims comme, par exemple, la célèbre Veuve Clicquot-Ponsardin.
A la tête de
la nouvelle institution se trouve un bureau de 15 directeurs, non
rémunérés. Cinq sont choisis au sein du conseil municipal et dix élus par
les membres fondateurs. Ce bureau est présidé par le maire. La
municipalité exerce une tutelle de fait de la caisse dans la mesure
où elle a apporté plus de la moitié du capital, que le maire préside son bureau mais aussi parce
qu’elle prête la salle des mariages de l’Hôtel de Ville pour
servir de local à la caisse. Jusqu’aux années 1880 son ouverture
au public ne se fait que le dimanche, seul jour chômé pour les ouvriers, et encore uniquement de 11h à 14h. C'est le dimanche 6 juillet 1823 que la caisse accueille ses premiers déposants.
Pour ouvrir un livret, il faut verser au minimum un franc et il y a un maximum de mille francs à ne pas dépasser car on entend réserver la Caisse d’épargne aux catégories populaires. L’argent déposé rapporte 5 %, la plus grande partie étant versée au déposant, le reste finançant le fonctionnement de la caisse. Le sociétaire peut retirer son argent quand il le désire mais la caisse d’épargne n’étant pas à cette époque une banque, elle n'accorde pas de prêt.
La Caisse d’épargne de Reims, comme ses consœurs, connaît des débuts difficiles. Dès 1825 le nombre de déposants diminue et en 1831 il n’y en a plus que 139 qui ont déposé seulement 25 000 francs. Les explications de cette déconfiture sont de deux ordres. Tout d’abord leurs très faibles revenus rendent toute épargne souvent impossible pour les classes populaires, notamment les ouvriers de la laine. Ensuite, les règlements des caisses d’épargne prévoient que l’argent déposé sera placé en rentes d’État dont les cours varient ce qui fait prendre de grands risques aux établissements.
Pour remédier à cet inconvénient une loi est votée en 1835 qui permet aux caisses d’épargne de verser désormais leurs dépôts auprès du Trésor public ou de la Caisse des dépôts et consignations, ce qui leur assure une sécurité quasi totale. Du coup, elles attirent davantage. En 1845, on compte à Reims 3 800 titulaires de livrets qui ont placé deux millions de francs d’épargne. En 1875 on en est à 18 000 livrets et six millions de francs déposés. En 1896, on atteint 54 600 livrets et 26 millions de francs déposés. Au total, entre 1848 et 1914, les livrets et les dépôts ont été multipliés par 14 alors que, dans le même temps, la population de Reims ne l’a été que de 2,5 fois. Certes, sur ce nombre total de livrets certains ont été ouverts dans la dizaine de succursales créées à partir de 1847 dans le reste de l’arrondissement mais ils restent largement minoritaires par rapport à ceux ouverts à Reims même.
Sans surprise, les déposants sont tous des personnes modestes qui placent de petites sommes. Cela dit, la valeur moyenne d'un livret détenu par un ouvrier ou un domestique ne représente que 70 % de celle d'un livret détenu par un petit artisan ou un petit commerçant, qui représentent la partie la moins pauvre des classes populaires. En outre, les "ouvriers" qui effectuent des dépôts appartiennent à une certaine aristocratie ouvrière, aux salaires plus élevés, comme les mécaniciens ou les imprimeurs. La masse des ouvriers de la laine, ayant déjà à peine de quoi survivre, est incapable de dégager une quelconque épargne.
Il est possible d'ouvrir un livret pour un enfant mineur qui, cependant, ne peut en demander le remboursement qu'à sa majorité. En 1875,
la Caisse d’épargne de Reims crée des
caisses scolaires
dont le principe est simple. Un
enfant verse à l’instituteur
ses
petites économies,
5,
10 ou
20 centimes, et quand on arrive à un franc la Caisse d’épargne
lui ouvre un livret à son nom. En fait, la Caisse d’épargne n’y gagne rien
financièrement
mais son intérêt
est ailleurs : il s’agit d’habituer les enfants à l’épargne
pour en
faire plus tard
de futurs déposants.
On est là
dans une logique à la fois
économique et idéologique, l’épargne des classes populaires étant
considérée
comme un moyen de les faire accéder à une forme de propriété, si modeste soit-elle, et de les détourner ainsi des idées révolutionnaires et collectivistes.
Avec la forte augmentation des dépôts la caisse d’épargne de Reims qui, rappelons-le, garde pour elle une petite partie de l’intérêt versé, voit ses disponibilités s’accroître : 80 000 francs en 1855, 300 000 francs en 1881, montants d’autant plus significatifs que, jusqu’en 1914, la monnaie française est d’une stabilité quasi totale et ne perd pas de valeur. Par conséquent, en 1882, la Caisse d’épargne quitte l’Hôtel de Ville pour s’installer dans un superbe immeuble qu’elle a fait construire tout à côté, rue de la Grosse-Écritoire.
Le bâtiment au lendemain de la Première Guerre mondiale (Archives municipales et communautaires de Reims).
Le bâtiment, reconstruit, est inauguré le 22 mai 1927. Il est aujourd'hui le siège de l'agence de la Caisse d’épargne Reims-Hôtel de Ville (coll.part).
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