Durant la première Guerre mondiale dix départements français sont occupés par les Allemands. Neuf (dont la Marne) le sont partiellement mais un, les Ardennes, l’est dans sa totalité. Cette situation spécifique des Ardennes se maintient d’ailleurs jusqu’à la fin du conflit puisque Rethel n’est libéré que le 6 novembre 1918, Charleville le 9 et Sedan le 10. Les populations de ces départements, et au premier chef les Ardennais, vivent ainsi une guerre très différente de celle vécue par les autres Français.
Tout d’abord les Ardennais, comme tous les habitants des zones occupées par les Allemands, sont coupés de toute information venant de France. Toute correspondance avec la France est interdite. Les Allemands interdisent les appareils téléphoniques et imposent aux propriétaires de pigeons voyageurs de les tuer. La presse française est interdite. Du coup les habitants du département ignorent tout du déroulement des opérations militaires et les familles sont sans nouvelles de ceux des leurs partis en août 1914. Les Allemands créent en novembre 1914 la Gazette des Ardennes qui est imprimée à Charleville. Au départ, il ne s’agit que d’un hebdomadaire à faible diffusion (5 000 exemplaires) qui publie essentiellement la traduction des communiqués allemands. Au printemps 1915 les Allemands en font un outil de propagande beaucoup plus développé. La Gazette des Ardennes publie désormais les listes des prisonniers de guerre français faits par les Allemands sur tous les fronts, ce qui augmente son audience. En même temps, sa diffusion est étendue à l’ensemble des territoires occupés et sa parution devient presque quotidienne. Le dernier numéro de la Gazette des Ardennes paraît le 2 novembre 1918. C’est à l’évidence un outil de propagande qui donne des informations très orientées en faveur des Allemands et en défaveur des Alliés mais. Mais, habilement, les rédacteurs évitent la propagande simpliste et grossière, ce qui fait que sa diffusion atteint 175 000 exemplaires en 1918.
Les numéros de la Gazette des Ardennes sont en ligne sur Gallica.
Les Ardennes passent sous administration militaire avec l’installation des Kommandanturs qui ont pour principal interlocuteur les municipalités, seul échelon français qui continue à fonctionner.
Commandement d'étape de Poix-Terron (Archives départementales des Ardennes).
On assiste à une certaine germanisation des Ardennes. Des noms de rues sont germanisés, comme à Vouziers où la rue Gambetta devient la Wilhelmstrasse et la rue Chanzy la Leipziger-Srasse.
Partout, l’heure allemande est imposée et les portraits de Guillaume II sont accrochés dans les lieux officiels. Des mesures vexatoires sont aussi imposées à la population civile. A partir du printemps 1917, tous les hommes et les jeunes garçons de plus de 12 ans doivent se découvrir au passage des officiers et leur céder le passage dans la rue.
Les Allemands, comme dans tous les autres territoires qu'ils occupent, tirent des Ardennes de nombreuses ressources. Les réquisitions sont fréquentes, qu’il s’agisse de produits agricoles, de matières premières ou de machines-outils. Tout cela sert à l’entretien de l’armée allemande sur place mais une partie est aussi envoyée en Allemagne où se font sentir les effets du blocus allié.
Cloches en bronze récupérées pour être fondues au profit de l'Allemagne (Archives départementales des Ardennes).
Les Ardennais sont aussi astreints au travail forcé. A Charleville-Mézières, durant la guerre, 20 726 habitants ont été réquisitionnés, 11 312 hommes mais aussi 8 533 femmes et 881 enfants.
Les hommes effectuent des travaux de force, parfois dans des conditions très dures, comme à Signy-L’abbaye où ils sont logés dans les bâtiments d’une usine désaffectée, entourés de fils de fer barbelés. Devant travailler dans une scierie ils ne reçoivent que des rations alimentaires de misère. Quant aux femmes, toutes celles âgées de 15 à 45 ans doivent travailler. Il s’agit de travaux à destination des soldats allemands : faire la cuisine, entretenir le linge, nettoyer les logements. Certaines doivent parfois faire des travaux de force comme la réfection de routes ou le déchargement de wagons de charbon. En mars 1918, des jeunes filles de Vireux-Molhain sont expédiées pendant deux mois près de Rethel pour réparer le canal de l’Aisne. Quant aux enfants, ils sont employés à cueillir des fruits, tailler les haies ou nettoyer les rues.
Sans surprise, la propagande allemande cache la dureté des situations et les souffrances des Ardennais en ne présentant que des images d'une occupation respectueuse de la population civile.
L'occupation allemande à Nouzon, "la popote des Allemands rue de Lorraine", 1917 (Archives départementales des Ardennes).
La vie des habitants se trouve bouleversée par la présence massive des Allemands, particulièrement à Charleville où s’installe en septembre 1914 le Grand Quartier Général allemand. Tout le secteur de la gare est réservé à l’état-major et interdit à la population ardennaise.
Le Konprinz et le général Hindenbourg à Charleville, 1916 (Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, fonds Valois).
Les soldats et les officiers sont fréquemment logés chez l' habitant qui doit alors se contenter de ce que l’ennemi leur laisse. A Charleville les Allemands imposent en avril 1917 à toute personne possédant au moins deux pièces d’en mettre une à la disposition des Allemands. Il est en outre précisé qu’il doit s’agir des meilleures pièces et de la meilleure literie. Les Allemands organisent aussi des espaces spécifiques pour leurs morts en s’octroyant généralement un carré dans les cimetières. A Sedan, ils érigent même un spectaculaire monument aux morts.
Le Monument allemand du cimetière Saint-Charles de Sedan à l’époque
de sa construction en 1915 (Coll. SHAS).
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Les pénuries sont nombreuses et s’accroissent au fur et à mesure du conflit. C’est le cas du combustible et des produits d’éclairage, en particulier le pétrole. Mais c’est surtout les pénuries alimentaires qui touchent la population. Ces manques alimentaires apparaissent dès l’hiver 1914-1915. Des maladies de carence se développent alors, provoquant une importante hausse de la mortalité.
Habitantes de Charleville attendant une distribution de farine et de lait, 1917 (Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, fonds Valois).










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