Au début du XXe siècle, l’aviation en est à ses premiers balbutiements. Le premier vol d’un plus lourd que l’air avec moteur est réalisé aux États Unis, par les frères Wright, le 17 décembre 1903. Cependant, dans cette conquête des airs, la France est aussi un pays pionnier et, en particulier, la ville de Reims.
Le 30 octobre 1908, le premier vol de ville à ville de l’histoire a lieu entre Bouy (qui fait alors partie du camp militaire de Châlons-sur-Marne) et Reims, soit un parcours de 27 kilomètres. Il est réalisé par le français Henri Farman qui décolle de Bouy et atterrit, après un vol de 20 minutes, à Reims dans un champ tout proche des caves Pommery. La vitesse moyenne a été d’environ 80 km/h et l’avion est monté à 40 mètres de hauteur.
Après cet exploit, le Comité d’aviation de Reims, présidé par le marquis de Polignac, envisage de créer une course entre Châlons et Reims. Mais il y renonce vite. En effet, une telle compétition serait trop dangereuse pour les appareils de l’époque, construits en toile et en bois, qui sont instables et s’écrasent facilement. En outre, comme on espère des milliers de visiteurs, il est préférable de le faire dans une grande ville telle que Reims. Le Comité décide donc d'organiser un ensemble de compétitions qui se disputeront autour d’une piste. On décide de donner à l’évènement le nom de Grande semaine d’aviation de la Champagne et on fixe les dates de son déroulement, du 22 au 29 août 1909.
Affiche de 1909 (Archives municipales de Reims)
Pour construire la piste, le Comité choisit la plaine de Bétheny, là même où le tsar Nicolas II avait présidé une grande revue militaire en 1901. L’endroit a de multiples avantages : un horizon illimité, un terrain plat, la proximité de Reims, que l’on peut atteindre tant par la route que par la voie ferrée.
De début juin à la mi-août 1909, la piste est aménagée et on édifie ce que l’on appelle alors l’Aéropolis : des tribunes, un poste de secours, une gare spéciale, une route d’accès. En vue de la compétition elle-même on met en place un chalet pour les chronométreurs, un mât pour accrocher les signaux indicateurs et 4 pylônes de 20 mètres de haut chacun pour délimiter la piste de10 kilomètres de circonférence. C’est au sommet de ces pylônes que s’installeront les juges aux virages. Des hangars sont aussi construits pour les 38 aéroplanes et les 2 ballons dirigeables engagés.
Armand Fallières, Aristide Briand et les officiels le 24 août 1909 (Archives municipales de Reims).
Toute la semaine, du 22 au 29 août 1909, la foule est au rendez-vous, en particulier le 24 août, jour de la visite du Président de la République Armand Fallières et du Président du conseil Aristide Briand. Financièrement, c’est une bonne affaire car les entrées sont payantes et vont de 45 francs la journée, pour profiter d’une loge, à seulement 1 franc pour ceux qui se contentent de la pelouse. Signe de la modernité naissante, il existe une possibilité de garage pour les voitures automobiles. Un système de drapeaux de couleur est mis en place, à différents points de Reims, pour faire savoir à la population quand les vols auront lieu.
Le marquis de Polignac (à droite) en discussion avec Louis Blériot (Archives municipales de Reims).
La compétition est richement dotée. Le Grand prix de la Champagne prévoit 100 000 francs pour l’aviateur qui franchira la plus grande distance sans ravitaillement. C’est le français Henri Farman qui l’emporte le 27 août avec 190 kilomètres parcourus en 3 heures, battant ainsi les records du monde de distance et de durée. Vient ensuite le Prix de la vitesse sur 3 tours de piste. Doté de 20 000 francs, il est remporté le 29 août par l’américain Curtiss qui effectue les 30 kilomètres en 26 minutes. Enfin, le Prix de l’altitude, doté de 10 000 francs, est remporté le même jour par le français Hubert Latham qui atteint 160 mètres de hauteur.
L’année suivante, du 3 au 10 juillet 1910, se déroule une seconde Grande semaine d’aviation de la Champagne. Les installations sont encore plus grandes et plus luxueuses qu’en 1909. 64 pilotes sont engagés dont la première femme qui ait passé son brevet de pilote, Raymonde de Laroche. Le président Fallières vient à nouveau à Betheny le 6 juillet. Les résultats de la compétition montrent les progrès rapides de l’aviation. Latham, à nouveau, bat le record de hauteur mais cette fois en s’élevant à 1 384 m. Labouchère remporte le grand prix de Champagne avec 340 kilomètres parcourus en 4h 37 minutes et Morane celui de la vitesse en atteignant le 120 km/h. Mais l’épreuve est aussi révélatrice des risques, parfois insensés, que prennent ces pionniers de l’aviation. Il y a plusieurs blessés et, surtout, un mort, l’aviateur Wachter qui est tué dans la chute de son avion.
Entre-temps, en novembre 1909, est né le projet de créer sur le terrain de Bétheny un aérodrome pérenne. Une Société dite de l’Aérodrome de la Champagne est fondée dont le directeur général est le vicomte de Boismenu. L’aérodrome est édifié dans la seconde moitié de l’année 1910, sous la direction de l’architecte André Granet qui est aussi un passionné d’aéronautique.
Photo aérienne de 1913 (Bibliothèques de Reims).
L’aérodrome, très moderne pour l’époque, occupe une superficie de 280 hectares et il est entouré par 7 kilomètres de palissade. Il comporte 42 hangars pour les avions : 30 hangars de 13 mètres sur 13 mètres et 12 hangars de 15 mètres sur 15 mètres. Ces hangars sont en brique, avec une toiture de fibro-ciment, et ils sont équipés d’une large porte en tôle ondulée. La Société de l’Aérodrome de la Champagne les loue au mois (200 francs pour les plus petits, 250 francs pour les plus grands) avec un tarif dégressif sur la durée. Deux ateliers de réparation, un magasin de pièces détachées, une usine électrique et une fosse à essence complètent l’équipement technique. Un pavillon-hôtel de style normand complète les installations. L’aérodrome compte un personnel relativement important : deux employés de bureau, un responsable de la gestion des écoles d’aviation qui se sont installées sur le terrain, un chef d’atelier qui gère 16 mécaniciens et charrons-menuisiers (le bois est très utilisé dans ces premiers avions), deux journaliers pour l’entretien du terrain et un concierge. Mais la société connaît rapidement de grandes difficultés financières et, mise en liquidation judiciaire, elle est rachetée le 5 mars 1912 pour 500 000 francs par Armand Déperdussin.
Armand Déperdussin en 1913 (Gallica-BNF).
Armand
Déperdussin, né en 1870, réussit d’abord dans les affaires en tant
que courtier en soieries. Mais, fasciné par l’aviation naissante,
il achète en 1908, deux ateliers de construction aéronautique, l’un
à Paris, et
l’autre à Juvisy-sur-Orge. En 1910 il ouvre aussi une école de pilotage
à l’Aérodrome de la Champagne. En 1912, année où il rachète
cet aérodrome, il donne à son entreprise le nom de Société de
Production des Aéroplanes Déperdussin (SPAD). Mais la compagnie
Deperdussin fait faillite en août 1913 et Armand Déperdussin
est accusé de faux, d’escroquerie et d’abus de
confiance, ce qui l'amène à effectuer quatre années de détention provisoire. Jugé
fin mars 1917 devant les Assises de la Seine, il est condamné à
quatre ans de prison avec sursis. Sorti de prison, ruiné, il vit
dans la misère et finit par se suicider en juin 1924. Au début
d’août 1914 sa compagnie a été reprise par Louis Blériot, toujours
sous le sigle SPAD mais signifiant cette fois Société Pour
l'Aviation et ses Dérivés. C’est elle qui pendant la Première
guerre mondiale fabriquera les meilleurs avions de chasse français
qu’utiliseront par exemple Fonck ou Guynemer.
Le Rémois Maurice Prévost (1887-1952) entre en novembre 1910 à l’école d’aviation Déperdussin de Bétheny et obtient son brevet de pilote en mars 1911. Il devient pilote d’essais chez Déperdussin. Le 29 septembre 1913, au grand meeting de Reims, il gagne la coupe Gordon-Bennet en battant le record du monde de vitesse à 200 kilomètres à l'heure sur un avion monocoque Déperdussin.
L’Aérodrome de la Champagne est aussi marqué par les personnalités de René Hanriot et de son fils Marcel. René Hanriot (1867-1925), négociant à Châlons-sur-Marne, est un passionné de courses automobiles puis d’aviation. Il construit lui-même son premier aéroplane à Châlons. En 1909 il crée la Société des Monoplans Hanriot au capital de 500 000 francs et transporte son atelier de fabrication de Châlons sur l’Aérodrome de la Champagne où il ouvre aussi une école de pilotage. En 1910, il installe son siège social et des ateliers plus vastes à Paris. Mais en 1912 il fait faillite. Cependant il réussit à recréer une firme de construction aéronautique à Levallois, en région parisienne et devient un important constructeur d’avions tant pendant la Première Guerre mondiale que dans l’entre-deux-guerres. Son fils, Marcel (1894-1961), qui est à ses côtés depuis le départ (il devient titulaire du brevet de pilote à 16 ans!) lui succède comme directeur à sa mort en 1925. En1936, la société des avions Hanriot est nationalisée et intégrée, avec la société Farman, dans la société Nationale de Constructions Aéronautiques du Centre.
Cependant, au moment de la faillite de la première société Hanriot, l’atelier rémois a été repris par Alfred Ponnier (1888-1931), grand admirateur des monoplans Hanriot, sous le nom de Société de construction de machines pour la navigation aérienne (CMNA). L’établissement Ponnier de Reims, ex-Hanriot, va construire quelques appareils avant la guerre mais il est détruit dès le début du conflit.
Le Ponnier D III à l’Aérodrome de la Champagne. C’est sur cet appareil qu’Émile Védrines termine second de la coupe Gordon Bennet le 29 septembre 1913, derrière Maurice Prévost. Émile Védrines, qui mourra quelques temps plus tard le 1er avril 1914 dans un accident d’avion à Reims, est le frère de Jules Védrines, l’un des plus célèbres pilotes de cette période (coll. part).
Quant à l’Aérodrome de la Champagne, il est racheté par l’État, le 28 juin 1914, pour en faire un aérodrome militaire et agrandir celui que l’armée possédait déjà à proximité depuis 1913.
Photo aérienne de 1913 (Bibliothèques de Reims).
Mais devant l’avance allemande, ce terrain est évacué le 29 août 1914 et ses installations sont détruites par les combats de la mi-septembre. C’est seulement en 1925 que l’armée décide de réinstaller une base aérienne qui ouvre, après trois ans de travaux, le 1er octobre 1928. Il s’agit de la Base aérienne 112 qui fermera ses portes en juin 2012.
Quant au retour d’une production d’avions à Reims, il faut attendre avril 1955 avec la
sortie du premier Broussard, conçu par Max Holste, et fabriqué dans
les anciens bâtiments du Chemin de fer de la banlieue de Reims rue
Gosset. La société Max Holste s’installe peu après à
Saint-Léonard. En 1962 elle est reprise par l’américain Cessna et
devient Reims Aviation qui s’installe en 1967 à Prunay. Mais dans les années 2000 les difficultés s'accumulent. En 2003, l'entreprise est scindée en deux entités qui, depuis, ont été liquidées, la première en 2014 et la seconde en 2024.
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