Le 12 juillet 1790, l’Assemblée constituante adopte la Constitution civile du clergé. La carte des diocèses est réorganisée sur la base d'un diocèse par département ce qui fait passer leur nombre de 130 à 83. Les évêques et les curés sont désormais élus par les citoyens actifs du département, catholiques ou non. Les citoyens actifs sont les Français aisés qui paient un impôt au moins égal à trois journées de travail. Les autres, les plus nombreux et les plus modestes, sont les citoyens passifs. Évêques et curés dépendent désormais de l’État qui les salarie en tant que fonctionnaires. Ils doivent en outre prêter serment à la Nation, à la Loi et au Roi. Ce bouleversement majeur et sans précédent entraîne un schisme dans l’Église de France, d’autant que le pape Pie VI ne tarde pas à condamner la Constitution civile du clergé. S’opposent alors le clergé constitutionnel, qui accepte la Constitution civile du clergé et le serment mais désobéit au pape, et le clergé réfractaire qui refuse mais qui se trouve désormais dans l'illégalité.
Avec la nouvelle carte des diocèses, les évêchés de Reims et de Châlons-en-Champagne disparaissent en tant que tels. A leur place sont créés un évêché de la Marne, qui a son siège à Reims, et un évêché des Ardennes, qui a son siège à Sedan. Pour cette ville, il s’agit d’ailleurs d’une revanche puisque, au moment de la création du département des Ardennes, le chef-lieu lui avait échappé pour être attribué à Mézières. Dans ce nouveau cadre, deux évêques constitutionnels sont élus, Nicolas Diot pour la Marne et Nicolas Philbert pour les Ardennes.
Nicolas Diot est né le 4 janvier 1744 à Reims dans un milieu très modeste puisque son père est tonnelier. Malgré cela, et grâce à des aides de personnes généreuses, il reçoit une solide instruction où se développent ses facilités intellectuelles. Entré au séminaire, il est ordonné prêtre en 1763. Pendant 15 ans il est curé de Saint-Brice près de Reims puis, peu avant la Révolution, il prend en charge la paroisse de Vendresse dans les Ardennes. Pénétré de la lecture des Philosophes des Lumières, Nicolas Diot se rallie à la Révolution qui a aussi à ses yeux le mérite, en supprimant les privilèges, d’avoir rendu accessibles aux roturiers comme lui les hautes fonctions ecclésiastiques jusque-là réservées aux nobles. Il prête serment en janvier 1791 et il est élu évêque du département de la Marne le 15 mars de la même année.
Nicolas Philbert, lui, est né en 1724 à Sorcy dans l’évêché de Toul. Il est aussi de milieu modeste, son père étant laboureur. Ordonné prêtre en 1748, il est envoyé en Bretagne puis il enseigne la philosophie et la théologie à Arras. En 1762, il est nommé curé de Sedan, une des plus importantes paroisses du diocèse de Reims. Ayant accueilli la Révolution avec joie, il est élu évêque des Ardennes le 23 novembre 1790 et il prête serment le 23 janvier 1791.
Nicolas Diot et Nicolas Philbert se trouvent dès le départ en butte à l’hostilité d’une partie de leur clergé et de leurs fidèles qui les considèrent comme illégitimes, même si dans la Marne et les Ardennes les prêtres qui refusent le serment sont en nette minorité par rapport à ceux qui l’acceptent. Surtout, à partir de l’automne 1792, ils doivent affronter des épisodes révolutionnaires de plus en plus violents. Les Jacobins et les Sans-culottes s’en prennent aux aristocrates et aux prêtres réfractaires dont six sont massacrés à Reims dans des conditions épouvantables.
Jacobins et Sans-Culottes entendent aussi faire œuvre de déchristianisation en combattant la religion catholique qu’ils considèrent comme du fanatisme. Le culte catholique est remplacé par celui de la déesse Raison. Les objets religieux et les ornements sacerdotaux sont confisqués. Des pressions sont aussi exercées sur les prêtres pour qu’ils renoncent à leur état.
Le 10 novembre 1793 est célébrée à Notre-Dame de Paris, devenue temple de la Raison, la première fête de la Liberté et de la Raison. La Raison est représentée par une femme (en fait l'épouse du libraire parisien Momoro) assise sur un siège à l'antique, vêtue d’une tunique blanche et d’un manteau bleu, la tête surmontée du bonnet rouge, tableau de Charles Müller, 1878 (Musée Sainte-Croix, Potiers).
Dans ce contexte de violence Nicolas Diot, probablement par peur, laisse le Représentant en mission Philippe Rühl briser la Sainte Ampoule le 7 octobre 1793 et, un peu plus tard, son collègue Jean-Baptiste Bo transformer la cathédrale de Reims en grenier à foin. De même, il se montre conciliant lorsque sont votées des lois en totale contradiction avec la doctrine catholique comme l’autorisation du divorce ou celle du mariage des prêtres. Concernant ces deux lois, Nicolas Philbert apparaît, lui, plus ferme et s’y oppose, ce qui lui vaut d’être convoqué à Paris devant la Convention et d’échapper de peu à l’arrestation. Pour ce voyage, il est escorté à l'aller comme au retour par deux gendarmes dont il doit payer les frais de route ! Cependant, à son retour, par prudence, il s'appuie sur son âge et son mauvais état de santé pour, sans démissionner, se retirer en dehors de Sedan.
Le Directoire en 195 rétablit la liberté de culte. Les églises sont alors partagées entre prêtres constitutionnels et prêtres réfractaires, qui officient chacun à leur tour, ce qui déconcerte grandement les fidèles. De la fin de 1796 au début de 1801, Nicolas Diot, tout en demeurant officiellement évêque de la Marne, se retire à Ville-en-Tardenois. Quant à Nicolas Philbert, il décède en juin 1796 et c’est Joseph Monin qui lui succède. Le nouvel évêque est né près de Bouillon le 23 novembre 1741. Entré chez les Prémontrés, Joseph Monin est ordonné prêtre en septembre 1762. Il est nommé curé d'Hargnies dans les Ardennes où il reste en poste jusqu'à son élection comme évêque, en mars 1798. Partisan des idées nouvelles, il avait prêté serment le 30 juin 1791.
Mais tout cela est bouleversé par la Concordat signé en 1801 par Napoléon Bonaparte, alors Premier Consul, et le pape Pie VII. En fait,
l'accord est autant politique que religieux et représente un
compromis.
Signature du Concordat entre le Gouvernement français et sa Sainteté Pie VII, pour le rétablissement du culte catholique en France, estampe contemporaine de l'évènement (Gallica-BNF).
L’État reconnaît le catholicisme comme étant la religion de la grande majorité des Français. De son côté, l’Église reconnaît la vente de ses biens pendant la Révolution. En contrepartie, l'État assure au clergé un traitement garanti. L'année suivante, en 1802, les pasteurs reçoivent les mêmes avantages, de même qu'en 1808 les rabbins. En ce qui concerne la nomination des archevêques et des évêques elle relève du gouvernement, l'institution canonique du pape étant reçue a posteriori. La carte des diocèses est réorganisée une deuxième fois. Le diocèse des Ardennes disparaît, le département dépendant désormais de l’évêque de Metz. le diocèse de la Marne disparaît aussi et passe sous l’autorité de l’évêque de Meaux.
Cette situation va durer jusqu’en 1822, date à laquelle sont rétablis les diocèses de Reims et de Châlons-en-Champagne.
Carte du diocèse de Reims, 1826. Le diocèse regroupe l'arrondissement de Reims et le département. Sur cette carte, la Belgique fait encore partie du royaume des Pays-Bas puisqu'elle ne deviendra indépendante que quatre ans plus tard, en 1830 (Gallica-BNF).
Par ailleurs Bonaparte, soucieux de pouvoir composer un épiscopat de son choix, a exigé la démission des évêques constitutionnels et a obligé le pape à faire de même pour les évêques réfractaires. C'est pourquoi les évêques constitutionnels de la Marne et des Ardennes vont démissionner au lendemain du Concordat. Nicolas Diot décède l'année suivante, en 1802. Quant à Joseph Monin, il se retire à Metz où Il continue à célébrer la messe avec sa croix épiscopale, tout en ayant d'excellentes relations avec les évêques concordataires de la ville. Il décède en 1829.
Ainsi se termine l’épisode peu connu de ces évêques constitutionnels qui ont dû affronter une histoire agitée et violente, à laquelle ils n’étaient guère préparés.

Commentaires
Enregistrer un commentaire